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FRANTZ

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Drame/Un beau film émotionnellement fort

Réalisé par François Ozon
Avec Pierre Niney, Paula Beer, Ernst Stötzner, Marie Gruber, Johann von BĂŒlow, Anton von Lucke, Cyrielle Clair, Alice de Lencquesaing...

Long-métrage Français/Allemand
Durée: 01h53mn
Année de production: 2016
Distributeur: Mars Films 

Date de sortie sur les écrans allemands : 29 septembre 2016
Date de sortie sur nos écrans : 7 septembre 2016


Résumé : Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune Français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville.

Bande annonce 


Ce que j'en ai pensĂ© : FRANTZ est un beau film. J'ai particuliĂšrement aimĂ© son aspect Ă  l'ancienne, sublimĂ© par le choix du noir et blanc. François Ozon, le rĂ©alisateur, a filmĂ© sur pellicule. Certaines des images sont parfois un peu floues comme dans les vieux films d’antan. Le fait que la couleur n'arrive que par intermittence pour souligner des moments particuliers donne de la profondeur aux sentiments. Le film est dĂ©nuĂ© d'artifices, François Ozon filme dans la simplicitĂ©, mais avec une grande prĂ©cision, pour laisser les expressions des acteurs nous dicter ce qu'ils ressentent. L'histoire tourne autour des mensonges, les petits, les grands, ceux qui protĂšgent, ceux qui font mal. Et au milieu de ces vĂ©ritĂ©s cachĂ©es, c'est Ă  nous de dĂ©duire ce que les personnages camouflent rĂ©ellement sous leurs ambiguĂŻtĂ©s.
En toile de fond, il y a la PremiÚre Guerre mondiale. J'ai trouvé l'ambiance, les décors, les costumes et les ressentiments remarquablement bien décrits. Cela donne à nos générations qui n'ont pas connu la guerre, une bonne idée de ce à quoi l'aprÚs-guerre devait ressembler. Les blessures physiques, les gueules cassées, les meurtrissures psychologiques, les paysages ravagés, tout y est. Et cela influence le déroulement des relations entre les protagonistes. Les horreurs et les dégùts de cette guerre particuliÚrement violente et meurtriÚre sont ici des éléments indissociables des choix et des émotions des personnages.
Les deux acteurs principaux sont superbes.
Paula Beer est une révélation pour moi. Elle est magnifique dans le rÎle d'Anna, une jeune femme en deuil qui doit faire face à des sentiments inattendus dans un contexte compliqué.


Pierre Niney est touchant dans le rÎle d'Adrien dont il fait ressortir à merveille la fragilité et la sensibilité à fleur de peau.


Ernst Stötzner, dans le rÎle du Dr Hoffmeister, et Marie Gruber, dans le rÎle de Magda, forment un couple de parents dont la peine se comprend. Ils se complÚtent tout à fait, cela les rend trÚs crédibles.


FRANTZ est un film en apparence calme qui dépeint un contexte et des sentiments complexes. Il est émotionnellement fort et trÚs fin dans sa construction. C'est un film qui sort des sentiers battus, qui ose des points de vue inhabituels dans notre cinéma. Il est trÚs intéressant à découvrir.


NOTES DE PRODUCTION 
(A ne lire qu'aprÚs avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

AprÚs la projection du film, le réalisateur,  François Ozon et les acteurs, Paula Beer et Pierre Niney, ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Retrouvez cet échange dans les vidéos ci-dessous. Attention, elles contiennent de nombreux spoilers, je vous déconseille donc fortement de les regarder avant d'avoir découvert FRANTZ au cinéma.







Entretien avec François Ozon 

D’oĂč est venu le dĂ©sir de rĂ©aliser FRANTZ ? 

Dans une Ă©poque obsĂ©dĂ©e par la vĂ©ritĂ© et la transparence, je cherchais depuis longtemps Ă  faire un film sur le mensonge. En tant qu’élĂšve et admirateur d’Eric Rohmer, j’ai toujours trouvĂ© les mensonges trĂšs excitants Ă  raconter et Ă  filmer. Je rĂ©flĂ©chissais donc autour de cette thĂ©matique quand un ami m’a parlĂ© d’une piĂšce de théùtre de Maurice Rostand, Ă©crite juste aprĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. En me renseignant un peu plus sur cette piĂšce, j’apprends qu’elle a Ă©tĂ© adaptĂ©e au cinĂ©ma en 1931 par Lubitsch sous le titre BROKEN LULLABY. Ma premiĂšre rĂ©action a Ă©tĂ© de laisser tomber. Comment passer aprĂšs Lubitsch ?! 

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ? 

La vision du film de Lubitsch m’a rassurĂ©, car il est trĂšs proche de la piĂšce et adopte le mĂȘme point de vue, celui du jeune Français. Mon dĂ©sir au contraire Ă©tait d’ĂȘtre du point de vue de la jeune fille, qui comme le spectateur ne sait pas pourquoi ce Français vient sur la tombe de son fiancĂ©. Dans la piĂšce et le film, nous savons dĂšs le dĂ©but son secret, aprĂšs une longue scĂšne de confession auprĂšs d’un prĂȘtre. Finalement ce qui m’intĂ©ressait, c’était plus le mensonge que la culpabilitĂ©. Le film de Lubitsch est magnifique, Ă  revoir dans le contexte pacifiste et idĂ©aliste de l’aprĂšs-guerre. J’ai d’ailleurs gardĂ© certaines scĂšnes qu’il a créées en adaptant la piĂšce. C’est son film le plus mĂ©connu, son unique film dramatique – et aussi son plus gros Ă©chec. Sa mise en scĂšne est comme d’habitude admirable et pleine d’inventivitĂ© mais en mĂȘme temps, c’est le film d’un cinĂ©aste amĂ©ricain, d’origine allemande, qui ne sait pas qu’une Seconde Guerre mondiale se profile et qui veut faire un film optimiste de rĂ©conciliation. La guerre de 14-18 avait Ă©tĂ© un tel massacre que beaucoup de voix politiques et artistiques, aussi bien en France qu’en Allemagne s’étaient Ă©levĂ©es pour dĂ©fendre un idĂ©al pacifiste : « Plus jamais ça ». Mon point de vue en tant que Français, n’ayant connu aucune des deux guerres, allait forcĂ©ment ĂȘtre diffĂ©rent. 

Vous avez donc rajoutĂ© toute une seconde partie Ă  l’histoire originale. 

Dans la piĂšce et le film de Lubitsch, le mensonge n’est pas rĂ©vĂ©lĂ© aux parents, le Français est acceptĂ© dans la famille, il prend la place du mort, il joue du violon pour eux et tout se termine bien. Dans mon film, Adrien essaye aussi de s’intĂ©grer Ă  la famille mais Ă  un moment, le mensonge et la culpabilitĂ© sont trop forts et il rĂ©vĂšle tout Ă  Anna. Et contrairement au film de Lubitsch, Anna ne peut l’accepter qu’à la suite d’un long parcours initiatique. D’oĂč cette seconde partie, qui s’ouvre sur le dĂ©part d’Adrien et la dĂ©pression d’Anna. 

Contrairement aux mĂ©los classiques, Adrien ne tombe pas amoureux d’Anna. En tout cas, il n’est pas prĂȘt Ă  l’assumer
 

Anna et Adrien partagent la mort de Frantz, mais peuvent-ils pour autant partager des sentiments amoureux ? Elle le pense dans un premier temps, puis face Ă  la vĂ©ritĂ©, cela lui semble impossible. Finalement, elle finit par y croire Ă  nouveau, jusqu’à ce qu’elle se retrouve face une autre rĂ©alitĂ© en France. Ce qui est beau chez Anna, c’est son aveuglement, elle sait ce qu’a fait Adrien, mais sa vraie souffrance est de ne pas assumer son dĂ©sir pour lui – et finalement elle part le rejoindre, veut croire Ă  leur amour malgrĂ© tout. Adrien en revanche ne sait pas oĂč est son dĂ©sir. J’avais envie de jouer sur des thĂ©matiques classiques du mĂ©lodrame comme l’idĂ©e de la culpabilitĂ© et du pardon pour ensuite bifurquer sur une dĂ©synchronisation des sentiments. 

À force de s’inventer une amitiĂ© avec lui, on se dit qu’Adrien apprivoise une forme de dĂ©sir pour Frantz
 

Comme Anna le dit Ă  la mĂšre d’Adrien : « Ce n’est pas moi qui tourmente votre fils, madame, c’est Frantz. » Frantz, en tant que soldat allemand, mais aussi en tant que double de lui-mĂȘme, en tant qu’ami ou amant potentiel
 

« N’ayez pas peur de nous rendre heureux », dit la mĂšre Ă  Adrien avant qu’il ne commence Ă  jouer du violon
 

Les parents ont un tel dĂ©sir d’accueillir Adrien, de croire Ă  cette fiction d’amitiĂ© franco-allemande, Ă  la possibilitĂ© qu’il puisse prendre la place de leur fils disparu, qu’ils acceptent inconsciemment le mensonge. Tout se joue sur un malentendu auquel Adrien s’abandonne. Et c’est une maniĂšre pour lui d’apprendre Ă  connaĂźtre Frantz, de leur faire du bien Ă  eux et Ă  lui-mĂȘme. Un mensonge rĂ©parateur. Ce qui est frĂ©quent dans toutes les histoires du deuil : on prend du plaisir et on a besoin de reparler de la personne disparue tout en l’idĂ©alisant. Pour Adrien, leur procurer ce plaisir est une maniĂšre aussi de calmer pour un instant sa propre culpabilitĂ©. 

Adrien est un personnage complexe
 

Adrien est un jeune homme trĂšs tourmentĂ© et perdu. Perdu dans ses dĂ©sirs, dans sa culpabilitĂ©, dans sa famille. Au dĂ©but, on en sait peu sur lui, il est assez mystĂ©rieux. Et plus le film avance, plus il se rĂ©vĂšle dĂ©cevant aux yeux d’Anna. Le traumatisme de la guerre l’a laissĂ© dans une forme d’impuissance, il manque de courage et se morfond dans une nĂ©vrose qu’il ne peut dĂ©passer. Son obsession ou son amour pour Frantz sont devenus mortifĂšres et il ne souhaite pas s’en extraire. 

D’une certaine maniĂšre, c’est quand Adrien part d’Allemagne qu’Anna commence vraiment Ă  faire son deuil de Frantz : elle dĂ©pose un portrait de lui sur sa sĂ©pulture, tombe en dĂ©pression
 

Jusque-lĂ , Anna a tenu pour les parents de Frantz. Le pĂšre lui dit Ă  un moment : « Merci de nous avoir soutenus, maintenant c’est Ă  nous de t’aider. » Mais avec le mensonge et le dĂ©part d’Adrien, c’est comme si toute la douleur remontait, elle revit l’abandon de maniĂšre encore plus cruelle. Peut-ĂȘtre aussi parce qu’il s’est incarnĂ© de maniĂšre plus Ă©rotique avec Adrien. 

Plus qu’un travail de deuil et de pardon, c’est la dĂ©couverte et l’apprentissage de l’amour qui sont davantage en jeu pour Anna
 

Le scĂ©nario du film est construit comme un Bildungsroman, comme un roman d’apprentissage. Il ne nous emmĂšne pas dans un monde de rĂȘve ou d’évasion mais il suit l’éducation sentimentale d’Anna, ses dĂ©sillusions par rapport Ă  la rĂ©alitĂ©, au mensonge, au dĂ©sir, Ă  la maniĂšre d’un conte initiatique. Anna Ă©tait destinĂ©e Ă  Frantz, c’était un amour romantique, de jeunesse, peut-ĂȘtre de convenance, sans doute jamais consommĂ©. Mais cet Ă©lan a Ă©tĂ© brisĂ©. Et un autre prince charmant arrive soudain miraculeusement, plus passionnel. Il n’est toujours pas la bonne personne, mais elle fera grĂące Ă  lui un apprentissage des grands Ă©vĂ©nements de toute existence (la mort, l’amour, la haine, l’altĂ©rité ). 

Le dĂ©but du film se concentre sur Anna, que l’on regarde dĂ©ambuler entre la tombe de Frantz et sa maison
 

J’aime beaucoup filmer les trajets, c’est une maniĂšre concrĂšte d’incarner l’idĂ©e du parcours des personnages et de placer le film et les protagonistes dans un lieu gĂ©ographique. C’était important de montrer cette petite ville allemande, ces trajets de la maison jusqu’au cimetiĂšre, puis jusqu’au Gasthaus. Regarder ce trajet, c’est s’interroger sur le personnage, comprendre son cheminement. Au dĂ©part, Anna fait un peu du sur place, elle n’arrĂȘte pas de tourner en rond dans cette petite ville. Pour ensuite aborder le grand voyage qui l’amĂšne en France et lui fait traverser les apparences
 

On retrouve dans FRANTZ beaucoup de vos thĂ©matiques – le deuil de SOUS LE SABLE, le plaisir ambigu de raconter des histoires de DANS LA MAISON, l’éducation sentimentale d’une jeune femme comme dans JEUNE & JOLIE
 Mais en mĂȘme temps, vous explorez beaucoup de nouvelles choses. 

Inconsciemment, plusieurs de mes obsessions sont peut-ĂȘtre lĂ . Mais les aborder dans une autre langue, avec d’autres acteurs, dans d’autres lieux que la France, oblige Ă  se renouveler et j’espĂšre qu’elles prennent ainsi une nouvelle force, une nouvelle dimension. Il y avait beaucoup de dĂ©fis excitants Ă  relever dans ce film, je n’avais jamais filmĂ© la guerre, des combats, une petite ville allemande, Paris en noir et blanc, en allemand
 Une des choses les plus importantes pour moi Ă©tait de raconter cette histoire du point de vue allemand, du cĂŽtĂ© des perdants, de ceux qui sont humiliĂ©s par le traitĂ© de Versailles et raconter que cette Allemagne-lĂ  est aussi le terreau d’un nationalisme naissant. 

DĂ©jĂ  avec GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES, adaptĂ© de Fassbinder, on sentait votre intĂ©rĂȘt pour l’Allemagne
 

L’Allemagne est le premier pays Ă©tranger que j’ai dĂ©couvert enfant et j’en ai gardĂ© une certaine fascination, ainsi qu’un intĂ©rĂȘt constant pour sa langue, son histoire et sa culture. Depuis longtemps j’avais envie de raconter le cĂŽtĂ© fraternel de ces deux peuples europĂ©ens, l’amitiĂ© qui peut les lier, et ce film en Ă©tait la parfaite occasion. Je me dĂ©brouille suffisamment en allemand pour tenir une conversation et diriger une Ă©quipe. Ensuite, j’ai fait confiance aux acteurs, je leur ai demandĂ© de l’aide et des conseils pour les dialogues. Ils Ă©taient trĂšs coopĂ©rants. 

Comment avez-vous envisagé la reconstitution historique ? 

TrĂšs diffĂ©remment de celle d’ANGEL, oĂč je cherchais Ă  reconstituer le monde de cette jeune fille, tel qu’elle le rĂȘve. Pour FRANTZ, je n’avais pas cette volontĂ© de stylisation, au contraire il fallait ĂȘtre ancrĂ© dans un rĂ©alisme fort. Cette pĂ©riode est idĂ©ale car nous avons accĂšs Ă  beaucoup de documents photographiques et cinĂ©matographiques. Mais trĂšs vite, je me suis rendu compte que je n’avais pas le budget nĂ©cessaire pour une reconstitution aussi prĂ©cise que je le souhaitais. En repĂ©rages, avec Michel BarthĂ©lĂ©my, le chef dĂ©corateur, nous trouvions des dĂ©cors intĂ©ressants mais qui nĂ©cessitaient des interventions trop onĂ©reuses. Et un jour, j’ai eu l’idĂ©e de passer nos photos de repĂ©rages en noir et blanc. Miraculeusement tous nos dĂ©cors fonctionnaient parfaitement et grĂące au noir et blanc nous gagnions paradoxalement en rĂ©alisme et en vĂ©racitĂ©, puisque toutes nos rĂ©fĂ©rences de cette Ă©poque Ă©taient en noir et blanc. Ce fut un choix artistique et Ă©conomique difficile Ă  faire accepter Ă  la production, mais finalement je crois que le film y gagne beaucoup. 

D’oĂč est venue l’idĂ©e d’injecter des touches de couleurs Ă  certains moments ? 

Travailler en noir et blanc pour la premiĂšre fois Ă©tait un dĂ©fi excitant, mais en mĂȘme temps un crĂšve-coeur, car ma pente naturelle m’a toujours fait pencher vers la couleur et le technicolor. Il me semblait donc difficile d’y renoncer pour certains dĂ©cors et certaines scĂšnes. Notamment pour la scĂšne de promenade dans la nature, qui faisait rĂ©fĂ©rence Ă  la peinture romantique allemande de Caspar David Friedrich. J’ai donc dĂ©cidĂ© d’utiliser la couleur comme un Ă©lĂ©ment de mise en scĂšne et de l’intĂ©grer aux scĂšnes de « flash back », de mensonges ou de bonheur, comme si la vie revenait soudain dans cette pĂ©riode de deuil, et tel le sang qui coule dans les veines, la couleur viendrait irriguer les plans en noir et blanc du film. 

OĂč avez-vous tournĂ© la partie allemande ? 

Nous avons tournĂ© en plein centre de l’Allemagne, Ă  environ 200 kilomĂštres de Berlin, Ă  Quedlinburg et Ă  Wernigerode pour la petite ville - et Ă  Görlitz, Ă  la frontiĂšre polonaise, pour le cimetiĂšre. En fait, ce sont des lieux de l’ex-RDA qui sont presque restĂ©s dans leur jus et n’ont pas Ă©tĂ© trop dĂ©truits ou trop rĂ©novĂ©s au contraire des villes de l’Ouest. 

Comment avez-vous trouvé Paula Beer ? 

J’ai fait un casting en Allemagne, rencontrĂ© beaucoup de jeunes comĂ©diennes. DĂšs que j’ai vu Paula, j’ai trouvĂ© qu’elle avait quelque chose de mutin et en mĂȘme temps de trĂšs mĂ©lancolique. Elle Ă©tait trĂšs jeune, 20 ans, mais il y avait une maturitĂ© dans son jeu. Elle pouvait Ă  la fois incarner l’innocence d’une jeune fille et la force d’une femme. Sa palette de jeu est trĂšs large, elle incarne tout de suite les choses et puis elle a une photogĂ©nie incroyable. 

Et le choix de Pierre Niney ? 

J’avais remarquĂ© sa vivacitĂ© et son charme lunaire dans J’AIME REGARDER LES FILLES. Et je l’avais Ă©galement apprĂ©ciĂ© au théùtre, Ă  la ComĂ©die Française, et dans le rĂŽle d’Yves Saint-Laurent. Pierre est un grand acteur de composition, capable de jouer sur plusieurs registres, notamment la comĂ©die dont il a naturellement le rythme, mais il est aussi Ă  l’aise dans un registre plus dramatique et tourmentĂ©, ce qui Ă©tait important pour incarner Adrien. Il a aussi cette qualitĂ©, que peu d’acteurs masculins ont Ă  son Ăąge, de ne pas avoir peur de mettre en avant sa fĂ©minitĂ©, sa fragilitĂ©, ses failles jusque dans sa voix et dans sa maniĂšre de bouger. 

Comment avez-vous choisi les parents allemands ?

J’avais repĂ©rĂ© Ernst Stötzner, qui joue le pĂšre, dans un film d’Hans-Christian Schmid. J’aime beaucoup son visage et l’autoritĂ© naturelle qu’il dĂ©gage dans sa prestance et sa voix. Avec sa barbe blanche, il reprĂ©sente la loi, la rigueur et la sĂ©vĂ©ritĂ© allemande. En le voyant en noir et blanc, j’avais l’impression parfois d’avoir en face de moi un acteur de Dreyer ou Max von Sydow dans un film de Bergman. Pour le rĂŽle de la mĂšre il me fallait, pour compenser la droiture et la raideur du pĂšre, une actrice aux antipodes, qui puisse dĂ©gager une chaleur maternelle, plus humaine, plus latine. Marie Gruber a Ă©tĂ© une vraie rĂ©vĂ©lation lors du casting, j’ai d’abord aimĂ© sa voix, puis son humanitĂ©, son tempĂ©rament et son regard, qui me faisaient penser Ă  Giulietta Masina. 

Et Johann von BĂŒlow dans le rĂŽle de Kreutz ? 

Il a le rĂŽle ingrat du « mĂ©chant » du film. Il reprĂ©sente cette petite bourgeoisie allemande nationaliste qui se sent humiliĂ©e et rĂȘve de revanche. En mĂȘme temps, il est amoureux d’Anna et il souffre de son rejet. Johann Ă©tait parfait, car il a une grande finesse de jeu et d’ambiguĂŻtĂ© pour amener ces deux choses Ă  la fois, sans tomber dans la caricature. 

Et pour jouer la mùre d’Adrien ? 

Je voulais une trĂšs belle femme pour incarner cette femme aristocratique, qui a un cĂŽtĂ© araignĂ©e et mĂšre castratrice. On sent qu’elle a tissĂ© sa toile, qu’elle manipule son entourage, qu’elle n’est dupe de rien et qu’elle veut garder Ă  tout prix son fils pour elle, l’éloigner de l’« Allemande ». Cyrielle Clair Ă©tait parfaite pour incarner, sous une Ă©lĂ©gance naturelle et une froideur apparente, l’aspect monstrueux de cette mĂšre incestueuse. 

Fanny, la fiancĂ©e d’Adrien a un petit cĂŽtĂ© suffragette
 

Fanny est un personnage ambigu, on ne sait pas sur quel pied danser avec elle. Sous des apparences de fragilitĂ© et d’amabilitĂ©, elle sait ce qu’elle veut : garder elle aussi Adrien. Elle a du caractĂšre, elle est habillĂ©e, coiffĂ©e de façon beaucoup plus moderne, trĂšs garçonne. Face Ă  elle, Anna se sent comme une campagnarde, encore plus Ă©trangĂšre, renvoyĂ©e Ă  son cĂŽtĂ© « petite Allemande ». Le film s’est construit beaucoup en miroir, il joue sur les contrastes entre Anna et Fanny, la France et l’Allemagne, la maison de Frantz et le chĂąteau d’Adrien, les chants patriotiques des deux pays, etc
 

Et la musique de Philippe Rombi ? 

Tout le dĂ©but du film, il y a une austĂ©ritĂ©, aussi bien dans la mise en scĂšne que dans l’utilisation de la musique, trĂšs peu prĂ©sente et discrĂšte, jouant sur des tensions dramatiques. Peu Ă  peu, le romanesque arrive, avec l’histoire d’amour qui naĂźt, les espoirs d’Anna, puis ses dĂ©sillusions. La musique suit son trajet, avec de rares bouffĂ©es de romantisme dans l’esprit des compositeurs de l’époque comme Mahler et Debussy. 

Et le prénom Frantz qui donne son titre au film ? 

C’est venu naturellement, tel un Ă©cho, qui sonne comme France
 En allemand, le prĂ©nom s’écrit sans « t », c’est une faute trĂšs française qui amusait et charmait les Allemands, ce qui m’a encouragĂ© Ă  ne pas la corriger. Je me suis racontĂ© que c’était Frantz qui avait rajoutĂ© ce « t », car il est un grand francophile. 

À la fin du film, Anna perpĂ©tue le mensonge pour protĂ©ger les parents de Frantz mais elle en a fini avec les faux semblants et accĂšde Ă  cette autre forme de mensonge qu’est l’art en contemplant « Le SuicidĂ© » de Manet
 

Il Ă©tait important pour moi de terminer sur ce tableau. L’art est aussi un mensonge, un moyen de supporter la souffrance. Mais c’est un mensonge plus noble, virtuel, qui peut nous aider Ă  vivre. Dans la piĂšce de Rostand, on parle d’un tableau de Courbet, avec un garçon Ă  la tĂȘte renversĂ©e en arriĂšre. J’ai cherchĂ© dans les peintures de Courbet, mais je n’ai trouvĂ© que des oeuvres trop romantiques, qui n’étaient pas assez violentes Ă  mon goĂ»t. Et puis, en faisant des recherches sur des reprĂ©sentations de morts, je suis tombĂ© sur ce tableau trĂšs mĂ©connu de Manet, « Le SuicidĂ© », d’une modernitĂ© incroyable. AprĂšs l’avoir montrĂ© en noir et blanc, je tenais Ă  le rĂ©vĂ©ler dans toutes ses couleurs, particuliĂšrement le rouge du sang, qui tache la chemise blanche du suicidĂ©. Brusquement, il prend toute sa force et sa puissance et il permet de se remĂ©morer tout le drame qui s’est jouĂ©, de repenser Ă  Frantz et Ă  Adrien. Et Ă  toute cette Ă©poque morbide de l’aprĂšs-guerre, avec deux millions de morts en France et trois millions en Allemagne, dont les survivants sont rentrĂ©s mutilĂ©s, traumatisĂ©s, tentĂ©s par le suicide. Pour moi, ce poids de l’Histoire Ă©tait trĂšs important, il fallait qu’Anna se retrouve face Ă  ce tableau qui y fait Ă©cho – mĂȘme si, en rĂ©alitĂ©, ce tableau datant de 1881 Ă©voque un acte passionnel. Enfin les choses sont claires, Ă  distance, projetĂ©es devant elle. 

« Il me donne envie de vivre », dit Anna en le regardant


J’aime ce paradoxe : face Ă  ce tableau d’un suicidĂ©, elle a enfin traversĂ© le miroir, malgrĂ© la guerre, les drames, les morts, les mensonges
 Elle a grandi, surmontĂ© des Ă©preuves, parcouru un long trajet et acquis une grande force. À travers Frantz et Adrien, elle a fait le deuil d’un amour perdu et le deuil d’un amour fantasmĂ©. Peut-ĂȘtre sera-t-elle maintenant capable d’aimer et de rencontrer la bonne personne. 

Entretien avec Pierre Niney 

Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario de FRANTZ ? 

J’ai Ă©tĂ© attrapĂ© par l’histoire, par ces faux-semblants qui m’ont emmenĂ© sur de fausses routes. Le scĂ©nario nous ment comme les personnages du film ne cessent de mentir. J’étais d’autant plus surpris que je ne m’attendais pas Ă  une telle intrigue de la part de François Ozon. Je trouve captivante cette thĂ©matique du mensonge salvateur ou destructeur. Et puis j’ai immĂ©diatement aimĂ© le personnage d’Adrien, cette histoire d’amour impossible et le cadre « classique » du film, dans lequel le nationalisme latent d’aprĂšs-guerre fait Ă©cho Ă  quelque chose de trĂšs actuel et trĂšs moderne.

Comment s’est passĂ©e la rencontre avec François Ozon ? 

TrĂšs simplement. Nous avons fait une premiĂšre lecture du scĂ©nario. TrĂšs vite nous Ă©tions dans le travail, ensemble. François a un univers trĂšs personnel et en mĂȘme temps une grande luciditĂ© sur ce qui fonctionne ou pas. J’ai beaucoup aimĂ© cette premiĂšre rencontre-lecture car j’ai senti que malgrĂ© son cĂŽtĂ© trĂšs construit, le scĂ©nario restait une matiĂšre vivante, modifiable et transformable au fil de nos impressions communes et de nos envies. 

Et la rencontre avec Paula Beer ? 

Nous avons fait une journĂ©e d’essais avec plusieurs actrices sur la scĂšne du lac en Allemagne et la scĂšne du baiser avortĂ© dans la famille d’Adrien Ă  la fin du film. Paula fut une Ă©vidence. Elle avait la grĂące et la sincĂ©ritĂ© de son personnage. C’est une immense actrice. Sa prestation dans le film est remarquable et reste en nous trĂšs longtemps. Elle a une classe et une simplicitĂ© trĂšs fortes, elle est trĂšs directe dans le jeu. Le travail avec elle a Ă©tĂ© facile et riche. 

Comment avez-vous appréhendé votre personnage ? 

Pour moi le personnage d’Adrien est un ĂȘtre trĂšs sensible que la guerre a brisĂ©. Il Ă©tait important que le mystĂšre de ce personnage se traduise par son aspect torturĂ© et sa fragilitĂ© mais ça a demandĂ© un travail sur le fil, ne pas trop en rĂ©vĂ©ler dans la premiĂšre partie du film, tout en gardant toujours Ă  l’esprit l’immense trauma que ce jeune homme a connu. J’ai beaucoup regardĂ© les peintures d’Egon Schiele avant et pendant le tournage. Je trouvais dans ses portraits de jeunes hommes une blessure qui me parlait d’Adrien. Le rĂŽle Ă©tait un dĂ©fi car j’ai dĂ» apprendre le violon, l’allemand
 et la valse ! Le violon fut une Ă©preuve trĂšs difficile, car il s’agissait de trois morceaux assez compliquĂ©s. Et François tenait Ă  pouvoir filmer mes deux mains, les arpĂšges et l’archet en mĂȘme temps. J’ai beaucoup travaillĂ© avec un coach pour arriver au rĂ©sultat final. 

Et jouer en allemand ? 

Le fait de jouer en allemand a aussi Ă©tĂ© un vrai dĂ©fi. Paula Beer m’a beaucoup aidĂ©. J’étais en tournage sur un autre film avant de dĂ©buter FRANTZ, et sur le plateau j’écoutais sur mon iPod des enregistrements qu’elle m’envoyait tous les jours de mes dialogues. C’était mieux que tout, car elle a une voix trĂšs douce et qu’elle est une excellente actrice. C’était trĂšs inspirant, surtout pour s’attaquer Ă  une langue qui a parfois mauvaise rĂ©putation en termes de sonoritĂ©s et de fluiditĂ©. Au bout du compte, j’ai adorĂ© jouer en allemand. La scĂšne oĂč Adrien raconte sa visite fantasmĂ©e du Louvre avec Frantz est l’une des scĂšnes que j’ai prĂ©fĂ©rĂ© tourner. Elle instaure un lien trĂšs fort entre le français et l’allemand, ce qui est aussi l’un des sujets du film. 

« N’ayez pas peur de nous rendre heureux », dit la mĂšre de Frantz Ă  Adrien avant qu’il ne joue du violon. Comment interprĂ©tez-vous cette phrase ? 

Elle est pour moi une des raisons du mensonge qu’entreprend Adrien. La famille Hoffmeister et Anna ont un besoin Ă©vident d’amour et de vie dans ce moment douloureux de deuil. C’est ce qui pousse Adrien Ă  inventer cette amitiĂ© avec sa victime. Il se sent le besoin de leur donner cela, de les rendre Ă  nouveau heureux, de leur mentir pour les faire revivre, mĂȘme un instant. Je trouve cette vision salutaire du mensonge trĂšs intĂ©ressante. 

Pour Adrien, Frantz incarne la culpabilitĂ© mais il est peut-ĂȘtre aussi celui qui lui rĂ©vĂšle une forme de dĂ©sir homosexuel. Comment avez-vous approchĂ© cette ambiguĂŻtĂ© de votre personnage ?

J’adorais cette ambiguĂŻtĂ© et je voulais Ă©grainer dans le parcours de mon personnage des dĂ©tails qui poseraient cette question au spectateur, l’ouvriraient vers ce possible dĂ©sir d’Adrien envers Frantz. Pour moi, il a vĂ©cu un rĂ©el traumatisme et a appris Ă  aimer Frantz. Maintenant, est-ce un amour fraternel ou un amour miroir car il reconnaĂźt sa dĂ©tresse dans les yeux de Frantz ? Ou un amour passionnel ? L’une des grandes forces du film est de renfermer, sous sa beautĂ© classique, beaucoup d’interrogations sur Adrien. De mĂȘme quand nous dĂ©couvrons la mĂšre et sa fiancĂ©e Ă  la fin du film. Quelles sont leurs intentions, quelle est la possible malveillance de cette mĂšre sur son fils ? 

Pour votre rĂŽle, vous ĂȘtes-vous documentĂ© sur la jeunesse sacrifiĂ©e sur les champs de la guerre de 14-18 ? 

Pour comprendre entiĂšrement le choc vĂ©cu par Adrien, je me suis replongĂ© dans ce que je savais ĂȘtre une guerre abominable. Les archives tĂ©moignent avec tellement de force des dĂ©gĂąts humains et psychiques qu’ont connus les soldats de 14-18. Allemands ou Français. Comme Adrien, Ă©normĂ©ment de soldats se sont retrouvĂ©s, trĂšs jeunes, jetĂ©s dans cette guerre d’une violence inouĂŻe. Ce qui est bouleversant c’est aussi de voir que l’absurditĂ© et l’horreur de cette guerre leur sont apparues parfois si clairement que des cessez-le-feu spontanĂ©s ont Ă©tĂ© proclamĂ©s entre les tranchĂ©es. Le film raconte aussi cela : comment une nation pouvait envoyer ses fils pacifistes Ă  la mort. 

Comment s’est passĂ© le tournage avec François Ozon ?

J’ai beaucoup aimĂ© la façon de travailler de François. Il est trĂšs attentif aux acteurs, il travaille trĂšs vite pour laisser le temps au jeu, donc on se sent privilĂ©giĂ© et on se donne du mal en retour. J’ai adorĂ© la façon qu’il avait d’ĂȘtre avec nous dans les scĂšnes. Pour commencer, il cadre lui-mĂȘme tous ses plans. Il n’est donc pas assis dans une tente Ă  cĂŽtĂ© en regardant son Ă©cran. Non, il a l’oeil rivĂ© sur nous et murmure des indications pendant les scĂšnes, avec beaucoup de douceur : « Ferme les yeux », « Regarde-la »  J’avais parfois la sensation d’une rĂ©pĂ©tition de théùtre oĂč tout Ă©tait possible, ouvert. 

Adrien a un cĂŽtĂ© fantomatique. Ce n’est pas lui qui a Ă©tĂ© tuĂ© Ă  la guerre mais quelque chose est mort en lui. Notamment peut-ĂȘtre sa capacitĂ© Ă  aimer ? 

Pour moi, il a toujours cette capacitĂ© en lui. C’est d’ailleurs ce qu’il dit dans la scĂšne d’aveux au cimetiĂšre : en dĂ©couvrant sa fiancĂ©e, sa famille et leur vie il a appris a aimer Frantz de plus en plus. Et aussi Anna, indirectement et maladroitement, comme en tĂ©moigne leur premier et dernier baiser sur le quai de gare Ă  la fin. Il est attirĂ© par elle, il perçoit une possible histoire qu’ils pourraient vivre ensemble. Mais il est brisĂ©, il connaĂźt sa faute et ne l’oubliera jamais. Il ressent l’amour, mais il ne se permettra pas de le vivre. Son retour chez sa mĂšre et son mariage avec cette amie d’enfance peuvent ĂȘtre perçus comme une expiation, une punition qu’il s’inflige Ă  lui-mĂȘme. J’aime que le film soit riche de toutes ces pistes et doutes sur les rĂ©elles motivations de chaque personnage, mĂȘme les plus secondaires. 

Entretien avec Paula Beer 

Comment s’est passĂ©e la rencontre avec François Ozon ?

J’étais en vacances, quand j’ai Ă©tĂ© contactĂ©e par la production. Trois jours plus tard, on m’a envoyĂ© deux scĂšnes et le lendemain je passais le casting. Je ne connaissais pas le scĂ©nario et c’était ma premiĂšre audition en français. La situation Ă©tait donc trĂšs bizarre pour moi. Mais dĂšs que je me suis retrouvĂ©e en face de François, ça s’est trĂšs bien passĂ©. Nous nous sommes bien entendus, nous avons travaillĂ© sur les deux scĂšnes ensemble et il m’a parlĂ© de l’histoire, d’Anna, du film qu’il voulait faire. Deux semaines plus tard, j’étais Ă  Paris pour une audition avec Pierre Niney. Et quelques jours plus tard, François m’appelle pour me dire que c’est moi qui vais jouer Anna.

Quelle a été votre réaction à la lecture du scénario ? 

C’est excitant de lire un scĂ©nario en sachant qu’on va jouer un tel personnage. J’ai Ă©tĂ© trĂšs Ă©mue par l’histoire. Par toutes les questions posĂ©es dans le scĂ©nario et les thĂšmes importants abordĂ©s : l’honnĂȘtetĂ©, l’amour, la perte, le mensonge, le lĂącher-prise, la volontĂ©, l’envie de vivre - et tout ça dans un grand calme, avec une forte vulnĂ©rabilitĂ© et malgrĂ© cela une certaine lĂ©gĂšretĂ© qui imprĂšgne la relation entre Anna et Adrien et qui la rend si complexe. L’évolution d’Anna elle-mĂȘme est bouleversante. Au dĂ©but, c’est un ĂȘtre paisible qui, suite Ă  la mort de son fiancĂ©, s’abandonne elle-mĂȘme jusqu’à un certain point. C’est seulement lors de la rencontre avec Adrien qu’elle redĂ©couvre la joie de vivre, se rappelle l’époque d’avant la mort de Frantz. LĂ , elle s’épanouit littĂ©ralement. Mais du coup, elle essuie un revers d’autant plus fort lorsqu’elle apprend la vĂ©ritĂ©. Dans la deuxiĂšme partie de l’histoire, elle dĂ©veloppe une force remarquable. J’étais trĂšs heureuse de pouvoir jouer ce rĂŽle merveilleux. 

Comment avez-vous apprĂ©hendĂ© ce personnage qui fait l’apprentissage de l’amour et passe de la jeune fille Ă  la femme ? 

Comme Anna Ă©volue Ă©normĂ©ment au cours de l’histoire, c’était important pour moi de bien saisir les diffĂ©rentes Ă©tapes qu’elle traverse. Comment la guerre a-t-elle transformĂ© sa vie ? Comment Ă©tait-elle avant ? Quelle influence Adrien a-t-il sur elle ? Quels dĂ©sirs s’éveillent en elle, Ă  ce moment-lĂ  ? D’ailleurs, les relations avec son entourage Ă©taient dĂ©cisives pour moi. Tout comme la douleur qui l’accompagne depuis la mort de Frantz et, en contraste, le dĂ©sir de vivre et d’aimer Ă  nouveau. 

L’une de ces Ă©tapes a lieu quand elle apprend le mensonge d’Adrien
 

Oui, c’est un choc inconcevable pour elle. Elle dĂ©cide d’épargner cette douleur Ă  ses beaux-parents. Elle porte toute seule le fardeau du mensonge, ainsi que la grande responsabilitĂ© qui s’ensuit. C’est un moment crucial oĂč beaucoup de questions se posent. Pourquoi couvre-t-elle Adrien ? 

Comment s’est passĂ© le tournage en France ? 

C’était formidable de tourner en France. Il y a une diffĂ©rence assez subtile, difficile Ă  expliquer, avec un tournage en Allemagne. C’était vraiment une grande joie. L’équipe Ă©tait fantastique ! DĂšs la prĂ©paration, j’ai senti que ça allait ĂȘtre un grand dĂ©fi de jouer en français. Je n’ai pas vĂ©cu autant de choses dans cette langue, aussi mon corps ne rĂ©agit pas de la mĂȘme façon aux mots français qu’en allemand. J’ai travaillĂ© longuement pour crĂ©er cette connexion Ă©motionnelle afin d’ĂȘtre libre dans mon jeu, mĂȘme en disant des phrases Ă©crites. 

Quelle est la façon de François Ozon de diriger les acteurs ? 

J’ai dĂ©couvert une toute nouvelle mĂ©thode de travail. DĂšs le dĂ©part, François m’a beaucoup impliquĂ©e dans les prĂ©parations. Il m’a demandĂ© mon avis, quels Ă©taient mes sentiments par rapport au personnage et Ă  l’histoire. Je pense qu’en faisant ça, il m’a fait preuve de sa confiance et m’a donnĂ© ainsi une grande libertĂ© pour le tournage. Je n’en Ă©tais pas consciente tout de suite, j’étais un peu perturbĂ©e par sa façon « de me laisser faire Ă  ma guise ». Mais trĂšs vite, nous avons trouvĂ© un moyen de communiquer et ensuite, le travail Ă©tait trĂšs facile et surtout trĂšs agrĂ©able. 

Il vous a donné des références de films ? 

Il nous a demandĂ© de regarder LE RUBAN BLANC d’Haneke, pour nous plonger dans le contexte trĂšs dur et trĂšs strict de l’époque, et LA FIÈVRE DANS LE SANG de Kazan. Parce que c’est une histoire trĂšs romantique. Ces deux jeunes gens qui s’aiment sont magnifiques, François voulait sans doute retrouver quelque chose de cette jeunesse, de cet amour fiĂ©vreux, de cette atmosphĂšre de dĂ©sir, toute en tension, entravĂ©e par le monde extĂ©rieur. D’une certaine maniĂšre, François a voulu fondre les univers de ces deux films trĂšs diffĂ©rents dans FRANTZ. 

Et tourner avec vos partenaires ? 

C’était merveilleux de jouer avec Ernst Stötzner et Marie Gruber, deux acteurs trĂšs impressionnants et en mĂȘme temps tellement gentils. J’ai eu l’impression qu’ils me protĂ©geaient. Comme des parents ! C’était aussi passionnant de travailler avec Pierre Niney, de voir combien il arrive Ă  exprimer tant de choses uniquement par un petit changement dans le regard. Cet art de travailler ainsi dans la finesse est magnifique. Pierre et moi avons vraiment jouĂ© l’un avec l’autre, et avec tous les autres acteurs. On a rĂ©ellement formĂ© une Ă©quipe, chacun de nous a donnĂ© de vraies Ă©motions pour faire vivre son personnage. À cet Ă©gard, je pense que FRANTZ est un film trĂšs honnĂȘte. Comme le personnage d’Anna ! 

Elle est effectivement la seule qui, Ă  un moment, refuse le mensonge et affronte la vĂ©ritĂ© et ses dĂ©sirs
 Quand Adrien l’embrasse sur le quai de la gare Ă  la fin, pensez-vous que lui aussi serait enfin capable d’assumer leur histoire ? 

Je me suis surtout demandĂ© si Anna le dĂ©sirait
 Je n’en suis pas sĂ»re, je pense qu’elle a trop grandi pour Adrien. C’est lui qui a suscitĂ© son dĂ©sir, qui l’a touchĂ©e, elle est tombĂ©e amoureuse de lui, a fait un grand voyage pour le retrouver. Mais tellement grand qu’elle est partie ailleurs ! Quand elle arrive dans la famille d’Adrien, bien sĂ»r qu’elle est heureuse de le revoir, mais quelque chose ne s’établit pas entre eux deux. Adrien est bloquĂ© dans sa situation, il n’a pas la force suffisante. Anna, elle, a son chemin Ă  tracer. 

Que vous évoque « Le Suicidé » de Manet ? 

Dans cette histoire, Adrien a tuĂ© une part de lui-mĂȘme et le tableau Ă©voque cette forme de suicide. J’adore les tableaux de Manet, et plus gĂ©nĂ©ralement les peintres de cette pĂ©riode. Ce tableau est provocant et lourd dans son sujet, mais avec la dĂ©licatesse de style des impressionnistes. J’adore ce mĂ©lange. 

« Il me donne envie de vivre », dit Anna en le contemplant
 

Cette phrase offre plein de possibilitĂ©s d’interprĂ©tations
 Je pense qu’Anna se dit que si quelqu’un ou quelque chose est mort, peu importe. Tout peut toujours renaĂźtre de ses cendres comme un PhĂ©nix, comme elle-mĂȘme qui Ă©tait morte d’une certaine maniĂšre et qui, grĂące Ă  Adrien, a eu la force de revenir Ă  la vie, de faire ce voyage en France. À la fin du film, Anna a beaucoup appris, elle a vraiment changĂ©. Elle est devenue une nouvelle femme, prĂȘte Ă  s’élancer vers d’autres horizons. 

Entretien avec Ernst Stötzner 

Connaissiez-vous le cinéma de François Ozon ?

Oui, j’avais vu 5X2, GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES et REGARDE LA MER, que j’aime beaucoup. J’étais donc trĂšs touchĂ© qu’il me propose le rĂŽle. Et de dĂ©couvrir le scĂ©nario. J’avais l’impression de lire un roman de Julien Green comme « Adrienne Mesurat », avec ce personnage de femme qui Ă©prouve un amour fort mais enfoui en elle, qu’elle ne peut extĂ©rioriser. Dans FRANTZ, les personnages aussi ont tous des sentiments trĂšs profonds, cachĂ©s en eux, mais ils n’arrivent pas Ă  les exprimer car ils sont trĂšs fermĂ©s. 

ParticuliĂšrement votre personnage, tout du moins au dĂ©but du film
 

Oui, c’est impossible pour ce pĂšre de parler de la douleur d’avoir perdu un fils. C’est comme si sa vie Ă©tait finie. Il doit malgrĂ© tout continuer Ă  vivre mais de quelle maniĂšre ? On ne se remet jamais de la mort d’un fils. Et tout d’un coup, avec l’arrivĂ©e d’Adrien, grĂące Ă  l’imaginaire qui se met en place visĂ - vis de cet inconnu, Ă  la possibilitĂ© qu’il soit un jour le nouvel amour d’Anna, ce pĂšre retrouve de l’espoir. L’arrivĂ©e d’Adrien dans la famille ouvre le champ des possibles. C’est grĂące Ă  lui que les mots peuvent advenir, que cette famille recommence Ă  vivre. 

Quelle a été votre réaction vis-à-vis du fait que François Ozon aborde cette histoire du point de vue allemand ?

J’étais touchĂ©, bien sĂ»r ! Cette Ă©poque est trĂšs intĂ©ressante, d’autant plus quand elle est questionnĂ©e par quelqu’un d’extĂ©rieur. Et de la maniĂšre dont François l’a fait. FRANTZ est un film sur la culpabilitĂ© d’une gĂ©nĂ©ration. Il est d’autant plus essentiel de se pencher sur cette gĂ©nĂ©ration que celle qui lui a succĂ©dĂ© ensuite – et qui Ă©tait celle de mes parents – celle de l’Allemagne nazie. 

Comment avez-vous abordé votre rÎle ? 

Cette histoire, j’ai tellement l’impression de la porter Ă  l’intĂ©rieur de moi depuis toujours
 Quand j’étais jeune, j’ai lu beaucoup de livres sur les deux guerres de 14-18 et 39-45 pour essayer de comprendre comment la gĂ©nĂ©ration de mes parents en Ă©tait arrivĂ©e lĂ  et me construire moi-mĂȘme, savoir qui je suis, tenter de savoir comment moi j’aurais rĂ©agi. Ce rĂŽle Ă©tait donc trĂšs naturel pour moi. Il Ă©tait intĂ©grĂ© Ă  qui je suis, c’est comme si je savais dĂ©jĂ  le jouer avant d’avoir jouĂ©. Comme une mĂ©lodie que vous connaissez depuis toujours et qui revient soudain. Le sujet du film Ă©tait certes imposant mais j’avais le recul de mon Ă©poque. Je sais que moi, ça ne m’arrivera pas. 

Et tourner avec François Ozon ? 

C’est la premiĂšre fois que je tournais avec un cinĂ©aste français. C’était trĂšs particulier, d’autant plus que l’on tournait en pellicule, ce qui est devenu trĂšs rare. Je ne m’étais pas retrouvĂ© devant une camĂ©ra 35mm depuis trĂšs longtemps. Surtout, c’est François qui Ă©tait derriĂšre cette camĂ©ra puisqu’il cadre lui-mĂȘme ses films. Je crois que ça ne m’était jamais arrivĂ© ! 

Qu’est-ce que ça change ? 

C’est plus direct. D’habitude, il y a un tiers, qui est le cadreur, vers lequel vous vous tournez, vous cherchez Ă  savoir si c’est bon. Le cadreur a souvent plus d’impact que le rĂ©alisateur. Avec François, les deux Ă©taient rĂ©unis en un, il Ă©tait vraiment l’OEil ! 

Quel directeur d’acteur est-il ? 

François parle trĂšs peu, il utilise peu de mots : « yes, no
 ». Avec lui, tout est dans la subtilitĂ©, dans la prononciation d’un mot, le simple fait d’en modifier lĂ©gĂšrement l’intonation. Cela peut sembler sans importance, mais d’un coup, il ouvre des possibilitĂ©s de jeu, suspend les choses, c’est trĂšs fort. François joue sur des nuances qui font que tu comprends qu’il a ressenti ce que tu essayais d’exprimer. Ce qui est trĂšs agrĂ©able car quand tu es comĂ©dien, tu ne sais pas si ce que tu Ă©prouves Ă  l’intĂ©rieur de toi a un impact sur l’extĂ©rieur. Avec François, tu le sais ! 

Au dĂ©but, vous incarnez le pĂšre, la loi, la rigueur
 Puis peu Ă  peu, votre personnage s’humanise. 

Vous trouvez ? Tant mieux ! Mon personnage est trĂšs renfermĂ©, c’est son tempĂ©rament. Alors tous ces moments oĂč il s’ouvre, c’est grĂące Ă  François, c’est lui qui a Ă©tĂ© les chercher, dans des petites choses. J’étais tellement heureux de faire ce film, excitĂ© comme un petit garçon. Par moment, je me disais que je ne me comportais pas du tout de maniĂšre professionnelle ! 

Et jouer avec Paula Beer, Marie Gruber et Pierre Niney ? 

Nous Ă©tions tous trĂšs proches dĂšs le dĂ©but. Enfin surtout Paula, Marie et moi. À partir du moment oĂč je les ai rencontrĂ©es, Marie Ă©tait ma femme et Paula Ă©tait la fiancĂ©e de mon fils mort. Je n’ai pas pu contrĂŽler cette impression que l’on formait une famille. Avec Pierre, c’était diffĂ©rent tellement je me projetais dans mon rĂŽle. Pierre, c’est-Ă -dire Adrien, Ă©tait l’étranger, celui qui est Ă  part. Du coup, je n’ai pas du tout Ă©prouvĂ© avec lui le mĂȘme lien qu’avec les « membres de ma famille » ! Adrien et le pĂšre de Frantz sont comme deux aimants, ils Ă©prouvent un mĂ©lange d’attraction et de mĂ©fiance l’un vis-Ă -vis de l’autre. Pour un acteur, c’est compliquĂ© de sĂ©parer la vie et le rĂŽle. À un moment, on ne peut pas tout contrĂŽler, tout se mĂ©lange. 
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