Quantcast
Channel: Epixod Le Blog
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1673
↧

Back to the present

$
0
0

Drame/De bons acteurs mais un peu fade dans l'ensemble 

Réalisé par Gilles Bannier
Avec Reda Kateb, Léa Drucker, Gilles Cohen, Erika Sainte, Thémis Pauwels, Stéphanie Murat, Luc-Antoine Diqueiro, Quentin Baillot...

Long-métrage Français
Durée : 01h34mn
Année de production : 2014
Distributeur : EuropaCorp Distribution

Date de sortie sur nos écrans : 6 janvier 2016


RĂ©sumĂ© : Chauffeur de taxi Ă  Nice, Samson Cazalet, la trentaine, charge une cliente ravissante Ă  l’aĂ©roport. Un charme rĂ©ciproque opĂšre. Le soir mĂȘme, la fille de cette femme disparaĂźt et des preuves accablent Samson. Comment convaincre de son innocence lorsqu’on est le coupable idĂ©al ?

Bande annonce (VF)



Extrait "La rencontre" (VF)


Extrait "L'interrogatoire" (VF)



Extrait "Visite en prison" (VF)



Ce que j'en ai pensĂ© : ARRÊTEZ-MOI LÀ est une adaptation du roman amĂ©ricain THE CAB DRIVER de Iain Levison (dont le titre en français est le mĂȘme que celui du film). 

Avec ARRÊTEZ-MOI LÀ, Gilles Bannier, le rĂ©alisateur adopte un point de vue rĂ©aliste, proche du documentaire sur l'histoire de cet homme qui doit affronter la machine judiciaire sans prĂ©paration, sans appui et sans expĂ©rience. En tant que spectateurs, nous n'accĂ©dons qu'Ă  la vision du personnage principal, Samson. Pourquoi pas ? 

Cependant, bien que le film se suive facilement et qu'il y ait de jolies scĂšnes comme la rencontre des deux personnages principaux par exemple, j'ai trouvĂ© l'ensemble un peu fade. Autant, j'approuve que le rĂ©alisateur ait dĂ©cidĂ© de s'Ă©loigner des conventions du genre, autant le manque d'Ă©motions affichĂ©es m'a gĂȘnĂ©. L'Ă©tincelle qui nous emporterait dans l'histoire et dans les sentiments traversĂ©s par les protagonistes fait ici dĂ©faut.

Le personnage de l'avocat commis d'office, Maßtre Portal, interprété par Gilles Cohen, m'a décontenancé car il change totalement le ton du film pour l'emmener vers la comédie, alors que pour moi, c'est un véritable drame qui se joue pour Samson. Je pense que Gilles Bannier a subtilement évité le mélo dans l'ensemble de son film, ce qui est trÚs positif pour ce genre d'histoire, et qu'il n'avait donc pas forcément autant besoin de forcer le trait sur ce personnage-là.


J'ai apprécié l'interprétation de Reda Kateb dans le rÎle de Samson Cazalet. Il lui apporte une fragilité touchante. J'aurais juste souhaité que ce protagoniste ait un peu plus de relief. 




LĂ©a Drucker, qui interprĂšte Louise Lablache, joue Ă©galement trĂšs bien, mais j'ai le mĂȘme reproche que pour Samson vis-Ă -vis de son personnage.




ARRÊTEZ-MOI LÀ a un style particulier, apportĂ© par la vision de son rĂ©alisateur. Bien que ce style ne m'ait pas spĂ©cialement convaincu, je trouve le thĂšme intĂ©ressant et le plaisir de voir jouer les acteurs intact. Si vous aimez les approches rĂ©alistes, ce film a les atouts pour vous plaire.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'aprÚs avoir vu le film pour éviter de vous le faire spoiler à 100% !)

AprÚs la projection, le réalisateur, Gilles Bannier ainsi que les acteurs Léa Drucker et Reda Kateb ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Je partage les vidéos dans les notes de production car elles contiennent beaucoup de spoilers.





ENTRETIEN AVEC GILLES BANNIER

Pourquoi avoir souhaité adapter ce livre de Iain Levison ? 

Iain Levison est l’un de mes auteurs favoris. L’humour avec lequel il traite ses sujets, pour la plupart dramatiques, me ravit, et je guettais depuis des annĂ©es l’occasion d’adapter une de ses Ɠuvres. J’ai dĂ©vorĂ© ARRÊTEZ-MOI LÀ le jour de sa publication en pensant qu’il y avait lĂ  la matiĂšre d’un film fort et simple. 

Le roman, tirĂ© d’un fait divers qui s’est dĂ©roulĂ© aux Etats–Unis, suit le hĂ©ros jusque dans les couloirs de la mort. N’avez-vous pas eu peur de le transposer dans un pays qui a aboli la peine de mort depuis plus de trente ans ? 

Garder le suc et la force de ce sujet en l’adaptant au droit français, trĂšs diffĂ©rent du droit nord-amĂ©ricain, Ă©tait tout l’enjeu de cette adaptation. Avec Nathalie Hertzberg, ma coscĂ©nariste, nous avons rencontrĂ© plusieurs avocats pĂ©nalistes pour Ă©tudier les pistes qui nous permettraient de relever ce challenge. Et avons Ă©crit les premiĂšres versions du scĂ©nario sous le regard de l’un d’entre eux : le film devait s’inscrire dans un cadre juridique irrĂ©prochable. Au final, le fait que Samson Cazalet soit condamnĂ© Ă  perpĂ©tuitĂ© avec une peine incompressible de 22 ans, c’est-Ă -dire sa vie entiĂšre d’adulte, me paraĂźt finalement ĂȘtre un atout pour le film : il y a quelque chose de monstrueux dans la perspective de se faire voler chaque jour de sa vie pour un homme innocent des crimes dont on l’accuse
 

Dans le film – comme dans le roman – la police, puis la justice font preuve d’une incroyable lĂ©gĂšretĂ©, acculant le pauvre Samson Ă  porter la responsabilitĂ© de cet enlĂšvement. 

L’injustice est une chose qui me touche personnellement, c’est comme un trĂšs mauvais numĂ©ro que vous tirez Ă  la loterie de la vie et ce numĂ©ro vous change pour toujours. Au bout de dix ans passĂ©s Ă  dĂ©crypter la machine judiciaire de façon quasi documentaire pour les besoins des sĂ©ries policiĂšres et des thrillers que j’ai rĂ©alisĂ©s pour la tĂ©lĂ©vision – la saison 2 d’ ENGRENAGES, notamment – j’avais envie de tirer quelques rĂ©flexions simples autour d’elle. Le destin de cet homme qui va tout perdre, alors qu’il n’a strictement rien fait, m’en donnait l’occasion. Samson est incapable de se dĂ©fendre correctement : il ne connaĂźt rien aux rouages de la justice et n’a pas conscience de la nĂ©cessitĂ© d’avoir un bon avocat - il pense que son innocence est suffisante. Plus tard, il pourrait faire appel Ă  des associations, par le biais des mĂ©dias, mais ne possĂšde pas non plus cette culture du recours Ă  l’aide juridique qu’ont beaucoup d’Anglo-Saxons. Et, Ă©lĂ©ment trĂšs important, il vit seul, en province et sans soutien familial. Ne nous voilons pas la face : tout comme dans le domaine de la santĂ©, il existe une justice Ă  deux vitesses en France. C’est contraire Ă  l’éthique du service public, mais c’est une rĂ©alitĂ©. Chauffeur de taxi, Samson n’a ni argent, ni rĂ©seau.

Son ignorance et sa condition sociale n’excusent ni les bĂ©vues des policiers ni celles des juges. 

La justice française, dont le mĂ©canisme date de la RĂ©volution française, n’est pas toujours juste en dĂ©pit de ses efforts pour respecter la dĂ©mocratie ; elle a des failles. Dans cette histoire, c’est vrai, la police commence par « saloper » le travail et, pourtant, quelles que soient les erreurs commises par les policiers enquĂȘtant sur l’affaire, je ne les dĂ©teste pas. Ils sont un peu ridicules – j’aime assez les gens un peu ridicules. Ils Ă©voluent dans l’arriĂšrepays niçois oĂč la criminalitĂ© est faible et, contrairement Ă  leurs collĂšgues niçois, ont peu d’expĂ©rience en la matiĂšre. Lorsqu’une affaire de cette importance leur tombe dessus, forcĂ©ment, ils font du zĂšle et cĂšdent Ă  la pression trĂšs forte des Ă©lus locaux, des journalistes et de la population Ă  laquelle un officier plus expĂ©rimentĂ© rĂ©sisterait sans doute mieux. Et puis, ils sont quand mĂȘme en face de faits troublants : Samson a omis de dire qu’il est entrĂ© dans la maison de cette petite fille qui a Ă©tĂ© enlevĂ©e et omis aussi de parler de cette course effectuĂ©e gratuitement Ă  la CitĂ© Universitaire avec les deux jeunes filles. À leurs yeux, ces deux mensonges sont terribles. Ils sont fiers d’avoir trouvĂ© le prĂ©tendu coupable de cette affaire mais sans doute vivront-ils toute leur vie avec le poids de cette responsabilitĂ© quand ils comprendront leur erreur – c’est compliquĂ© pour un flic d’envoyer un innocent en prison, mais c’est une autre histoire, un autre film. 

Ils ne tiennent absolument pas compte des Ă©lĂ©ments Ă  dĂ©charge que leur fournit Samson
 

Non, ils n’écoutent rien.
« SAMSON EST VICTIME DE CETTE LOTERIE INSENSÉE QU’EST LA VIE. »

Et n’hĂ©sitent pas Ă  fabriquer de faux tĂ©moignages contre Samson. 

Ce marchĂ© passĂ© avec des tĂ©moins dont on monnaye la mise en libertĂ© est-il le fait des policiers ? Du parquet ? Il y a nĂ©cessairement quelqu’un dans la chaĂźne qui a voulu faire rentrer l’histoire dans le moule en faisant passer ces tĂ©moignages en force. C’est insupportable, totalement contraire Ă  la philosophie de la justice française et le responsable paiera sĂ»rement son geste. Encore une fois, Samson est victime de cette loterie insensĂ©e qu’est la vie. Il y a, autour de lui, une accumulation de coĂŻncidences : il tombe sur les mauvaises personnes au mauvais moment. Cela arrive tout le temps. 

Il y a tout de mĂȘme une sorte d’aveuglement gĂ©nĂ©ral autour de Samson : comment expliquer que mĂȘme sa petite amie se mette Ă  douter de son innocence ? 

J’ai lu beaucoup de tĂ©moignages de personnes victimes d’erreurs judiciaires. Toutes ont en commun le dĂ©sir de redevenir anonymes une fois blanchies, et toutes parlent de la façon dont le regard de leur entourage a changĂ© Ă  partir du moment oĂč elles ont mis le doigt dans la machine judiciaire. DĂšs la garde Ă  vue, la prĂ©somption d’innocence, qui est pourtant un pilier du droit français, vole en Ă©clats. La prĂ©somption de culpabilitĂ© prend le relais. Tout cela est d’une violence extrĂȘme. 

La juge en charge de l’instruction du dossier n’éprouve, elle non plus, pas le moindre doute sur son implication dans l’enlĂšvement. 

Elle est jeune et sort probablement tout juste de l’École Nationale de la Magistrature. Elle est un peu comme le juge Burgaud dans l’affaire d’Outreau : elle veut s’affirmer.

Et, comble d’infortune pour Samson, l’avocat commis d’office chargĂ© de le dĂ©fendre est totalement incompĂ©tent. 

J’ai un immense respect pour les juges d’instruction et j’adore les avocats. Mais, pour avoir assistĂ© Ă  beaucoup de procĂšs d’assises et passĂ© du temps dans les tribunaux correctionnels, j’ai pu constater qu’il en existait de trĂšs mauvais. On n’imagine pas Ă  quel point le sort d’un justiciable peut changer en fonction de la personne qui le dĂ©fend. Nous sommes tous impressionnĂ©s par les rĂ©parties des grands tĂ©nors, le brio et la vitesse de rĂ©flexion d’un Éric Dupond-Moretti, ou d’un Henri Leclerc quand nous les dĂ©couvrons Ă  la tĂ©lĂ©vision : ces hommes-lĂ  sont capables de retourner une cour d’assises. Mais Ă  cĂŽtĂ© d’eux, combien de mĂ©diocres
 Soit parce qu’ils sont dĂ©butants, soit parce qu’ils n’ont tout simplement pas les atouts d’un acteur : la voix, le verbe, le coffre. 

Comment expliquer que MaĂźtre Portal (Gilles Cohen) fasse preuve d’autant de nĂ©gligence vis-Ă -vis des pistes susceptibles d’innocenter son client ?

Il ne l’écoute pas et, surtout, il ne travaille pas assez. Arriver Ă  faire acquitter un innocent est un travail colossal que ce pauvre commis d’office est incapable d’accomplir, faute de connaissances suffisantes et de persĂ©vĂ©rance. Lorsqu’on lit BÊTE NOIRE, le livre d’Éric Dupond-Moretti, on comprend que cet homme est avant tout une bĂȘte de travail. Portal se rĂ©veille un peu au moment du procĂšs : il rĂ©ussit Ă  faire comparaĂźtre la petite amie de Samson ainsi que l’ancien flic de Perpignan qui pense connaĂźtre le vrai coupable. Il n’a pas l’habitude des assises. Tout d’un coup, il a un petit dĂ©clic : c’est comme s’il se retrouvait dans la peau d’un figurant de l’OpĂ©ra de Perpignan auquel on demanderait d’interprĂ©ter un rĂŽle sur la scĂšne de la ComĂ©die-Française : c’est la chance de sa vie, on voit qu’il est portĂ© par la puissance de cette institution – il a une espĂšce d’envolĂ©e et ses arguments ne sont pas si mauvais – mais c’est pour mieux s’écrouler ensuite : il faut ĂȘtre trĂšs bon pour tenir des jours entiers dans ce théùtre que sont les assises. J’adorais l’idĂ©e que sa plaidoirie fasse un flop. Le cinĂ©ma montre rarement cela. 

Le rĂ©quisitoire de l’avocat gĂ©nĂ©ral est Ă  peine plus brillant mais lui, emporte l’adhĂ©sion des jurĂ©s. 

Son discours est structurĂ©, il a choisi ses mots, la façon de les dire et fait des effets de manche. MĂȘme si ceux-ci sont dignes d’un acteur de vaudeville, cela impressionne les jurĂ©s, le dĂ©corum les impressionne – on n’imagine pas la puissance de la reprĂ©sentation des assises.
« JE VOULAIS RACONTER L’HISTOIRE D’UN HOMME À LA PREMIÈRE PERSONNE. »
Dans l’affaire dont s’inspire Iain Levison, Richard Ricci, la vraie victime de ce fait divers, meurt d’une hĂ©morragie en prison quelques heures avant que la fillette ne soit retrouvĂ©e. 

Et c’est une des difficultĂ©s scĂ©naristiques que j’ai eue Ă  rĂ©soudre. Le premier traitement de l’adaptation Ă©tait trĂšs long – plus de 200 pages – et le problĂšme s’est trĂšs vite posĂ© de raconter ou non la prison. J’avais Ă©crit des scĂšnes trĂšs longues et trĂšs proches du roman oĂč l’on suivait la transformation du personnage, notamment au contact d’un serial killer qui devenait son confident. J’adorais cet aspect du roman et la façon dont cet esprit dĂ©rangĂ© infusait l’esprit de Samson, mais je sentais que je partais sur un autre film – un film de prison – et je n’en avais pas envie. Je voulais raconter l’histoire d’un homme Ă  la premiĂšre personne.
J’ai finalement trouvĂ© plus intĂ©ressant de montrer les souffrances endurĂ©es par Samson Ă  travers les scĂšnes au Grand HĂŽtel oĂč l’installe sa nouvelle avocate : ce n’est plus un lieu de villĂ©giature, juste une nouvelle cellule un peu plus dorĂ©e. On mesure bien comment son incarcĂ©ration l’a abĂźmĂ©. 

Il y a malgrĂ© tout cet Ă©pisode oĂč Samson doit ĂȘtre hospitalisĂ©. 

Je ne m’appesantis pas, mais c’était important de montrer la capacitĂ© de somatisation gĂ©nĂ©rĂ©e par la prison : on meurt en prison, et pas seulement par suicide. Beaucoup de dĂ©tenus sont atteints de cancer ou victimes d’hĂ©morragie, comme Richard Ricci. La somatisation est d’autant plus forte lorsqu’on est incarcĂ©rĂ© en Ă©tant innocent. 

Et ces scÚnes superbes au début de sa détention ? 

Elles ont Ă©tĂ© tournĂ©es au centre pĂ©nitentiaire de La FarlĂšde Ă  Toulon, une prison ultramoderne oĂč nous avons eu la chance d’ĂȘtre accueillis pendant une journĂ©e. J’avais une volontĂ© trĂšs forte de tourner dans une vraie prison, quitte Ă  traverser la France pour cela. Je tenais Ă  ce que Reda Kateb s’imprĂšgne de la vĂ©ritĂ© des lieux. Autour de lui, les dĂ©tenus sont de vrais dĂ©tenus et les surveillants de vrais surveillants. 

Parlez-nous de cette scĂšne surrĂ©aliste au tribunal oĂč Samson est maintenu en prison alors que l’on vient de retrouver la petite MĂ©lanie et son ravisseur. 

C’est la vĂ©ritĂ© de la justice ! À partir du moment oĂč Samson s’est vu lire sa condamnation par le PrĂ©sident du tribunal, et mĂȘme s’il est avĂ©rĂ© qu’il n’a pas enlevĂ© cette petite fille, il est obligĂ© de repasser par la case prison pendant au moins trois jours. Et ne peut ĂȘtre innocentĂ© totalement qu’aprĂšs la rĂ©vision de son procĂšs. C’est une rĂ©alitĂ© française d’autant plus aberrante que la rĂ©vision d’un procĂšs prend Ă©normĂ©ment de temps. L’ironie de l’histoire est que si cette fillette avait Ă©tĂ© retrouvĂ©e ne serait-ce que quelques heures auparavant, Samson aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© sur-le-champ. 

En mettant le personnage entre les mains d’un grand groupe d’avocats, vous n’ĂȘtes pas trĂšs tendre avec cette profession incarnĂ©e par MaĂźtre LaferriĂšre (StĂ©phanie Murat). 

Je trouve que cette femme a une certaine humanitĂ©. Elle Ă©prouve un peu de compassion pour son client, elle le regarde enfiler sa vieille veste, elle est assez touchĂ©e par lui. Mais, Ă©videmment, elle est lĂ  pour le business. Il y a bien longtemps que les pĂ©nalistes amĂ©ricains se sont engouffrĂ©s dans le filon des erreurs judicaires. Cela commence Ă  se dĂ©velopper en France et j’ai d’ailleurs lĂ©gĂšrement anticipĂ© sur les indemnitĂ©s que cette avocate compte obtenir : 1 million d’euros, c’est ce que reçoivent aujourd’hui des gens qui ont passĂ© entre 5 et 7 ans en prison. Mais on atteindra cette somme pour une seule annĂ©e d’emprisonnement dans les annĂ©es qui viennent. 

Comment avez-vous construit le personnage de ce chauffeur de taxi, finalement pas si éloigné de son modÚle littéraire texan ? 

En l’écrivant, ma prĂ©occupation Ă©tait qu’en France, les taxis souffrent d’une image dĂ©sastreuse. C’est soit le vieux chauffeur rĂąleur, français de souche, soit le nouveau, gĂ©nĂ©ralement issu de l’immigration, infiniment plus gentil d’ailleurs ; tous sont parisiens. L’image du taxi en province n’existe pas : sa reprĂ©sentation cinĂ©matographique est littĂ©ralement Ă©crasĂ©e par l’image du chauffeur de taxi amĂ©ricain et notamment par le TAXI DRIVER, de Scorsese. Comment ne pas tomber dans les clichĂ©s ? J’ai imaginĂ© que Samson passait ses journĂ©es avec son chat, qu’il avait une passion pour la musique et j’aimais l’idĂ©e qu’il ait son propre espace de libertĂ© en conduisant dans ce pays magnifique qu’est la CĂŽte d’Azur. Je ne voulais donner aucune explication Ă  son sujet : il est libre, solitaire, c’est la vie qu’il s’est choisie. 

Il est trĂšs gĂ©nĂ©reux. Lorsque son amie vient s’excuser, on sent qu’il est prĂȘt Ă  renouer avec elle. Il lui pardonne. 

Samson sait Ă©couter - peu de gens ont cette capacitĂ©. Quelqu’un qui sait Ă©couter sait comprendre et pardonner. C’est une espĂšce d’évidence, mais qu’il me semblait bon de rappeler Ă  travers son comportement. AprĂšs le froid de leurs retrouvailles, il pense un moment qu’ils pourraient revivre une histoire ensemble, mais c’est impossible. Beaucoup de personnes victimes d’erreurs judicaires racontent qu’elles ne peuvent plus vivre comme avant. Samson n’arrive plus Ă  dĂ©sirer cette femme et il la laisse partir en sachant que c’est la derniĂšre fois qu’il la voit. 

À la fin du film, lorsqu’il se rend chez la mĂšre de la petite fille avec un lapin, il est vraiment dans la rĂ©silience. 

Il a besoin de retrouver sa vie perdue il y a un an et de reprendre l’histoire lĂ  oĂč il en Ă©tait avant que ce drame ne lui tombe dessus. Il est prĂȘt Ă  prendre tous les risques pour entendre cette petite fille lui dire qu’elle ne l’a jamais vu. En le faisant, elle l’innocente pour de bon. 

Le dernier plan du film dans le taxi est trÚs étrange. 

Je voulais qu’un espoir naisse autour de Samson et de la mĂšre de la petite fille. Leur premiĂšre rencontre Ă©tait pleine de sĂ©duction et ce sont dĂ©sormais deux personnes dĂ©truites qui pourraient mĂȘler leurs destins, qui pourraient s’épauler l’un l’autre. Cette femme, qu’il vient de dĂ©poser Ă  l’aĂ©roport, arrive comme dans un rĂȘve dans son taxi. Mais on sait qu’elle va revenir : ils vont se revoir, il l’a dit Ă  la petite fille Ă  travers ce lapin qu’il lui a donnĂ©. Elle a beaucoup Ă  se faire pardonner puisqu’elle a participĂ© Ă  l’accusation de Samson mais, mĂȘme si elle a retrouvĂ© son enfant, elle et sa fille ont vĂ©cu un vĂ©ritable traumatisme. 

Un traumatisme que vous rendez palpable durant le procÚs, littéralement filmé à travers son regard. 

Je voulais que le procĂšs dure assez longtemps et plutĂŽt que de faire les traditionnels plans sur le public, j’ai choisi de donner la possibilitĂ© au spectateur d’étudier les rĂ©actions de la mĂšre, au fur et Ă  mesure de l’évolution des dĂ©bats : on lit sur son visage tous les sentiments qui l’animent - la peur, la culpabilitĂ©, la dĂ©tresse, le doute, l’espoir
 Son regard est comme un catalyseur des Ă©vĂ©nements. 

Reda Kateb est exceptionnel dans le film. Comment l’avez-vous choisi ? 

Tant que le scĂ©nario n’était pas terminĂ©, je m’étais interdit d’envisager un acteur pour le rĂŽle. Mais plus j’écrivais, plus Reda assaillait mes pensĂ©es - son exigence, ses valeurs, sa profondeur
 À un moment, j’ai capitulĂ© et je lui en ai parlĂ©. Il a lu les premiĂšres versions que je lui ai soumises, il Ă©tait partant. Reda a fait ses premiers pas devant une camĂ©ra avec moi Ă  l’occasion de la saison 2 d’ ENGRENAGES. Nous sommes restĂ©s proches. L’écriture du film achevĂ©e, il n’était pas encore si connu et les financiers auxquels les productrices parlaient de lui nous conseillaient des noms plus prestigieux. Je me suis obstinĂ© : il n’était pas question pour moi de tourner sans Reda. Je l’avais choisi, il n’y avait plus d’alternative possible : un film est d’abord le dĂ©sir d’un metteur en scĂšne pour son acteur. En imposant son rythme au personnage, Reda Kateb a, d’une certaine façon, induit la mise en scĂšne d’ ARRÊTEZ-MOI LÀ. Je suis peut-ĂȘtre arrivĂ© sur le plateau avec quelques idĂ©es, des envies d’effets, mais en voyant son travail sur le plateau, je les ai remisĂ©es. Le film devait se construire autour de la simplicitĂ© et de la force de son interprĂ©tation. Il ne devait pas y avoir de filtres trop voyants susceptibles d’empĂȘcher le spectateur d’ĂȘtre en phase avec lui. Son jeu m’a dictĂ© de longs plans simples, une force documentaire. 

LĂ©a Drucker s’est-elle imposĂ©e avec la mĂȘme Ă©vidence ?

J’avais d’abord pensĂ© Ă  elle pour le rĂŽle de MaĂźtre LaferriĂšre qui Ă©tait beaucoup plus dĂ©veloppĂ© dans les premiĂšres versions et elle s’était montrĂ©e enthousiaste. Un an plus tard, je lui ai fait lire une nouvelle version, et LĂ©a m’a confiĂ© son dĂ©sir d’interprĂ©ter le personnage de la mĂšre. J’étais ravi de le lui donner. LĂ©a est une actrice extraordinaire, totalement sous-employĂ©e en France. Ses regards valent de longs discours. 

Parlez-nous du choix de Nice et sa région. 

DĂšs le dĂ©but, j’avais deux endroits en tĂȘte : Perpignan, dont je suis originaire et que je connais donc bien, et Nice. J’adore l’idĂ©e de la vitrine que reprĂ©sente la Promenade des Anglais – la mer turquoise, les palaces – et de l’arriĂšre-pays, avec ses histoires peu reluisantes. Le rapport Nice-Grasse me sĂ©duisait aussi. 

Vous venez de la tĂ©lĂ©vision. ARRÊTEZ- MOI LÀ est votre premier long-mĂ©trage pour le cinĂ©ma. 

Durant la prĂ©paration et les premiers jours de tournage, je n’avais pas le sentiment de rĂ©aliser un premier film. Ayant rĂ©alisĂ© beaucoup d’épisodes pour le petit Ă©cran, je faisais confiance Ă  mon expĂ©rience. J’ai Ă©tĂ© trĂšs surpris de constater que certaines de mes certitudes volaient en Ă©clats. On ne tourne pas pour le cinĂ©ma comme on tourne pour la tĂ©lĂ©vision : j’ai pris davantage de risques et Alain Marcoen, le chef opĂ©rateur, qui est aussi celui des frĂšres Dardenne, m’a poussĂ© dans cette direction. MĂȘme si j’ai le sentiment de m’ĂȘtre toujours battu pour ne pas ĂȘtre atteint par l’autocensure gĂ©nĂ©rĂ©e par le travail Ă  la tĂ©lĂ©vision, j’ai dĂ©couvert une forme de libertĂ© supplĂ©mentaire. C’était excitant, vertigineux, comme une sorte de renaissance Ă  la mise en scĂšne. 

Aviez-vous des films en tĂȘte en tournant ? 

Les documentaires que Raymond Depardon a consacrĂ©s Ă  l’appareil judiciaire Ă©taient une rĂ©fĂ©rence absolue pour moi ainsi que la trilogie de François Chilowicz – HORS LA LOI – je les ai d’ailleurs montrĂ©s Ă  Reda Kateb. J’ai pensĂ© aussi Ă  toute la pĂ©riode amĂ©ricaine de Fritz Lang et aux films de Sidney Lumet qui confrontent des hommes normaux Ă  l’appareil judiciaire. Ce sont des cinĂ©astes qui font confiance Ă  leur histoire et Ă  leurs personnages et dont la mise en scĂšne est invisible, ce qui reprĂ©sente pour moi toute la grandeur du cinĂ©ma. Ma plus grande prĂ©occupation Ă©tait de sortir des clichĂ©s qui entourent la justice et de mettre un peu d’humour dans tout ce drame. Dans la vie, l’humour est insĂ©parable du drame. 

Un mot sur la musique ? 

Je n’en voulais quasiment pas : l’influence du cinĂ©ma de Raymond Depardon, toujours. Je trouvais plus intĂ©ressant de donner une force documentaire au film. AprĂšs le premier montage, j’ai quand mĂȘme demandĂ© Ă  HervĂ© Salters, le leader de General Elektriks, qui a fait la musique des BEAUX MECS (sĂ©rie TV diffusĂ©e sur France 2 en 2011) et de PARIS, de travailler sur des moments du film bien prĂ©cis. Puis j’ai fait appel Ă  un second compositeur et ai mĂ©langĂ© les deux partitions – l’une, composĂ©e Ă  partir de cordes, trĂšs prĂ©sente dans la premiĂšre partie, et l’autre, plus moderne, que l’on retrouve plutĂŽt Ă  la fin du film. 

Un mot sur le chat, Gershwin ? 

J’adore les chats. J’ai souvent tournĂ© avec eux et c’est trĂšs compliquĂ©. J’ai contactĂ© le dresseur qui m’avait permis de tourner une scĂšne qu’on voit dans PARIS (sĂ©rie TV diffusĂ©e sur Arte en 2015). Il est arrivĂ© avec trois chats – deux jumeaux gris, avec lesquels j’avais tournĂ© cette fameuse scĂšne et un rouquin. Le roux est montĂ© sur la table, m’a regardĂ© droit dans les yeux et a lapĂ© intĂ©gralement le verre d’eau que j’avais devant moi : c’était lui. J’ai organisĂ© une rencontre avec Reda, exactement comme on fait se rencontrer deux acteurs qui vont tourner ensemble. Et ça a Ă©tĂ© un bonheur de tourner avec lui.

ENTRETIEN AVEC REDA KATEB 

Vous retrouvez le rĂ©alisateur Gilles Bannier avec lequel vous aviez fait vos dĂ©buts Ă  l’écran, il y a huit ans, dans la saison 2 d’ ENGRENAGES. Qu’est-ce qui vous a sĂ©duit dans ce projet ? 

C’était un scĂ©nario trĂšs particulier, trĂšs personnel dans lequel j’ai senti que Gilles avait mis toute son Ăąme. Je n’étais pas complĂštement surpris qu’il ait pensĂ© Ă  moi durant l’écriture : Samson et moi avons beaucoup en commun. 

Par exemple ? 

Il appartient Ă  cette catĂ©gorie que j’appelle les artistes du quotidien et qui me touche Ă©normĂ©ment. Lorsque je prends l’autoroute, je pense souvent Ă  la personne qui a passĂ© sa journĂ©e Ă  encaisser des tickets au pĂ©age. J’aime imaginer qu’en rentrant chez elle, elle va Ă©couter du Chopin ou lire un roman trĂšs calĂ©. Je me reconnais dans ces gens. J’ai toujours pensĂ© que l’art n’était pas rĂ©servĂ© aux Ă©lites et surtout pas aux artistes. La vie de Samson n’a rien de lumineux ni de spectaculaire, son mĂ©tier de taxi est alimentaire et pourtant, il est nourri par la musique et le rapport Ă©troit qu’il entretient avec la nature et les animaux. Sa solitude est peuplĂ©e d’une infinitĂ© de belles choses. 

Vous avez eu connaissance du film trĂšs en amont. Avez-vous participĂ© Ă  l’élaboration du scĂ©nario final ? 

Non, Gilles en est vraiment l’auteur avec Nathalie Hertzberg. Mais lui et moi avons beaucoup parlĂ© ensemble. Je me souviens, par exemple, avoir dĂ©battu avec lui de l’opportunitĂ© d’en conserver ou non les nombreuses scĂšnes de prison qui se trouvaient dans le livre. Gilles a assez vite pris le parti d’en supprimer la plupart et j’en Ă©tais heureux. Il me semblait important de trouver un autre angle pour raconter cette histoire : on ne devait pas se contenter de retracer le calvaire d’un homme broyĂ© par la machine judiciaire. Il fallait nourrir le personnage, l’affiner. Samson s’est beaucoup enrichi au fil de l’écriture. 

Aviez-vous lu le livre de Iain Levison ? 

Je ne l’ai lu qu’aprĂšs avoir dĂ©couvert le premier jet du scĂ©nario. Je trouve le film Ă  la fois trĂšs fidĂšle au propos du roman et trĂšs libre dans sa forme : il rĂ©pond parfaitement aux exigences de ce type d’exercice : comment raconter cette histoire au cinĂ©ma en 2015 Ă  un public français. 

Au début du film, on sent que Samson est à mille lieues de deviner ce qui lui arrive. 

On sonne Ă  sa porte, des policiers lui demandent s’ils peuvent rentrer puis s’il peut les suivre. C’est un bon citoyen, un honnĂȘte homme, il n’imagine pas une seconde ce qui va suivre ; il n’a aucune mĂ©fiance. 

Au point de paraßtre presque naïf ? 

C’est une naĂŻvetĂ© dont peut faire preuve tout bon citoyen croyant en la justice. Samson n’a rien Ă  se reprocher : pourquoi Ă©chafauderait-il des stratĂ©gies pour se dĂ©fendre et refuserait-il de donner ses empreintes comme le lui demandent les policiers ? Il a tort, bien sĂ»r : face Ă  l’appareil judiciaire, on sait qu’il vaut mieux se mĂ©fier. Lors d’un tournage assez rĂ©cent, j’ai eu l’occasion de discuter avec un voyou qui avait effectuĂ© pas mal d’annĂ©es de prison et venait de purger une derniĂšre peine pour une affaire dans laquelle il n’était en rĂ©alitĂ© pas impliquĂ©. Il m’a expliquĂ© qu’il Ă©tait bien plus difficile de se dĂ©fendre lorsqu’on est innocent que lorsqu’on est coupable. Plus que de la naĂŻvetĂ©, je dirais que Samson a ses zones d’ombre : ce n’est pas seulement un personnage vertueux, confiant et aimable. Il est habitĂ© par autre chose. C’était important qu’il ne soit pas d’une seule couleur. 
« J’AIME ALLER CHERCHER DE LA RICHESSE DANS DES VIES DONT ON S’IMAGINE SOUVENT À TORT QU’ELLES N’EN POSSÈDENT PAS. » 
Comment l’avez-vous construit ? 

J’aime aller chercher de la richesse dans des vies dont on s’imagine souvent Ă  tort qu’elles n’en possĂšdent pas. Pour prĂ©parer Samson, j’ai conduit ma voiture en Ă©coutant des musiques que Gilles m’avait gravĂ©es sur un CD, j’ai pris pas mal de taxis et discutĂ© avec les chauffeurs. Et j’ai eu la chance de pouvoir faire des lectures avec les autres acteurs. C’était finalement une prĂ©paration assez courte, l’essentiel Ă©tait vraiment de vivre cette histoire Ă  l’instant T du tournage. 

Samson est à la fois trÚs doux, trÚs lumineux et il est également trÚs secret. Comment rend-on compte de cette double dimension ? 

Tout est dĂ©jĂ  dans le scĂ©nario. À partir du moment oĂč sa copine lui demande pourquoi il refuse de vivre avec elle et tient tant Ă  rester seul, la lumiĂšre qui Ă©mane de lui s’assombrit. C’est un garçon qui a sans doute du mal Ă  grandir. Il est trĂšs Ă  l’aise dans la bulle de confort un peu enfantine qu’il s’est construite avec son taxi, son chat et sa musique et redoute d’en sortir. ConfrontĂ© au rĂ©el aprĂšs l’intrusion des policiers dans sa vie, il est obligĂ© d’avancer. Il fait du chemin. Quand j’ai la chance de tenir un film du dĂ©but Ă  la fin, comme c’est le cas ici, j’ai toujours le souci de voir mon personnage Ă©voluer. 

Son avocat ne l’écoute pas et ne croit pas en son innocence, les policiers, puis la juge, ne tiennent pas davantage compte des arguments qu’il avance. Sa situation est parfaitement absurde. 

Et Gilles joue beaucoup sur cette dimension. C’est parfois tellement gros qu’on n’ose pas y croire et pourtant, oui, ça arrive. Au Festival du Film Francophone d’AngoulĂȘme, oĂč le film Ă©tait projetĂ© pour la premiĂšre fois, j’entendais les mouvements des spectateurs dans la salle qui s’exclamaient : «Oh ! », ou, « Non, ce n’est pas possible ! ». J’adore quand un fil se tisse ainsi avec le public. Le film est traitĂ© sur le ton de la tragĂ©die, mais on pourrait tout aussi bien imaginer une comĂ©die sur le mĂȘme thĂšme avec le mĂȘme personnage qui se retrouve face Ă  une machine sur laquelle il n’a aucune prise et qui regarde hĂ©bĂ©tĂ© ce qui est en train de lui arriver. 
« ON DOIT RESSENTIR L’ÉNERGIE INTÉRIEURE DU PERSONNAGE ET SON IMPUISSANCE À REGARDER SE DÉLITER CE QUI COMPOSAIT SA VIE JUSQUE-LÀ.» 
Comme le lui reproche le procureur au moment du procÚs, Samson se comporte presque comme le spectateur de sa propre histoire. 

Il est Ă  la fois l’acteur et le tĂ©moin de ce qui l’entoure puisque tout se joue sans lui et avant lui. C’est intĂ©ressant Ă  jouer : on doit ressentir l’énergie intĂ©rieure du personnage et son impuissance Ă  regarder se dĂ©liter ce qui composait sa vie jusque-lĂ . 

La réaction de son amie est terrible. 

Elle lui tourne tout simplement le dos. Il faut un courage extraordinaire pour aller tendre la main Ă  un homme qui se retrouve au banc des accusĂ©s. Ceux qui n’ont pas cette force ne sont pas pour autant des parias et le film n’est lĂ  ni pour les juger ni pour les sauver. J’aime beaucoup la bienveillance avec laquelle chacun des personnages est filmĂ©. 

Samson est lui-mĂȘme empli de cette bienveillance : malgrĂ© l’incompĂ©tence de son avocat, il est capable de faire preuve de gentillesse Ă  son Ă©gard quand, par miracle, celui-ci fait son travail. 

Il y a un petit cĂŽtĂ© Ă©loge de la gentillesse dans ARRÊTEZ-MOI LÀ qui n’est pas Ă©tranger Ă  la personnalitĂ© de Gilles Bannier, l’une des personnes les plus douces et les plus bienveillantes que je connaisse et chez qui la gentillesse n’est surtout pas un signe de faiblesse. Mais Samson n’est pas uniquement « gentil » par nature, ce n’est pas le benĂȘt du village : aussi mauvais soit cet avocat, il en a besoin et essaie d’en tirer le meilleur parti. Samson soigne la seule chance qui lui reste d’ĂȘtre dĂ©fendu. 

À la fin du film, il est animĂ© d’une facultĂ© de rĂ©silience tout de mĂȘme assez extraordinaire. 

J’ai longtemps animĂ© des ateliers de théùtre en prison, j’y suis aussi allĂ© prĂ©senter des films - dont celui-ci, trĂšs rĂ©cemment - et j’ai toujours Ă©tĂ© frappĂ© de rĂ©aliser Ă  quel point les gens que j’y croisais, qu’on pouvait penser broyĂ©s au point d’avoir perdu toute confiance en l’autre, ressortaient au contraire de ces pĂ©riodes d’incarcĂ©ration avec un cƓur encore plus ouvert. Je les admire. Ni les uns ni les autres, et moi le premier, ne savons comment nous rĂ©agirions dans une telle situation. Agirais-je comme Samson ? Je ne le crois pas. Je serais sans doute plus rĂ©voltĂ©, j’aurais moins de distance par rapport Ă  ce qui lui arrive et ne serais probablement pas dans le pardon. 

ENTRETIEN AVEC IAIN LEVISON 

ARRÊTEZ-MOI LÀ s’inspire d’une histoire vraie. Parlez-nous du fait divers qui en est à l’origine. 

Il concerne l’enlĂšvement d’une jeune fille de quatorze ans, Elizabeth Smart, Ă  Salt Lake City, dans l’Utah. Lorsque l’évĂšnement s’est produit en 2002, j’avais Ă©tĂ© trĂšs frappĂ© par l’attitude de la presse qui s’est littĂ©ralement dĂ©chaĂźnĂ©e autour de l’affaire durant des mois. Ce n’était ni le premier kidnapping dans la rĂ©gion ni le premier crime de ce genre Ă  s’ĂȘtre produit cette annĂ©e-lĂ , mais le fait qu’Elizabeth Smart soit blanche, riche et jolie galvanisait les mĂ©dias. La campagne de presse a Ă©tĂ© d’une telle violence qu’elle a en quelque sorte contraint la police Ă  procĂ©der Ă  une arrestation : impossible pour les flics de rester plus longtemps passifs en se contentant de dire qu’ils ne comprenaient pas ce qui s’était passĂ©. Les flics ont donc arrĂȘtĂ© un type qui travaillait chez les Smart, Richard Ricci, leur homme de maison et il m’est rapidement apparu que la raison pour laquelle ce gars avait Ă©tĂ© placĂ© sous les verrous Ă©tait qu’il n’avait pas d’argent pour se payer un avocat : il n’y avait aucune preuve rĂ©elle contre lui. 
« LORSQUE L’ÉVÈNEMENT S’EST PRODUIT EN 2002, J’AVAIS ÉTÉ TRÈS FRAPPÉ PAR L’ATTITUDE DE LA PRESSE QUI S’EST LITTÉRALEMENT DÉCHAÎNÉE AUTOUR DE L’AFFAIRE DURANT DES MOIS. » 
Dix mois plus tard, la jeune fille a Ă©tĂ© retrouvĂ©e. La presse s’est Ă  nouveau emballĂ©e et je me souviens avoir Ă©tĂ© trĂšs choquĂ© Ă  nouveau du fait qu’aucun journaliste ne parlait de cet homme qui avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© Ă  tort et qui, entre-temps, Ă©tait mort en prison dans des circonstances extrĂȘmement suspectes. J’ai moi-mĂȘme cherchĂ© Ă  enquĂȘter sur les circonstances exactes de sa disparition. J’ai appelĂ© le service de police de Salt Lake City et le bureau du coroner. Personne n’a voulu me parler. Je n’ai jamais rĂ©ussi Ă  obtenir le nom des prisonniers qui avaient cĂŽtoyĂ© Ricci dans les couloirs de la mort. Sa femme a refusĂ© de me rencontrer. Je sais qu’elle a obtenu un dĂ©dommagement substantiel de la justice. Le corps de Richard Ricci a Ă©tĂ© incinĂ©rĂ©. La justice a vraiment pris soin d’entretenir le secret autour de sa mort. 
« AUCUN JOURNALISTE NE PARLAIT DE CET HOMME QUI AVAIT ÉTÉ ARRÊTÉ À TORT ET QUI, ENTRE-TEMPS, ÉTAIT MORT EN PRISON DANS DES CIRCONSTANCES EXTRÊMEMENT SUSPECTES. » 
C’est la premiĂšre fois qu’un de vos romans est adaptĂ© au cinĂ©ma. Quelle a Ă©tĂ© votre rĂ©action en dĂ©couvrant le film de Gilles Bannier ? 

C’était une expĂ©rience Ă©tonnante. L’écriture est un exercice solitaire : vous avez passĂ© des mois et des mois dans votre salon, seul avec vos pensĂ©es et votre rame de papier et, tout Ă  coup, tout ce que vous avez imaginĂ© se trouve matĂ©rialisĂ© en images ; des dizaines de personnes se sont mis en quatre pour mettre votre propos en lumiĂšre et l’illustrer de maniĂšre sonore. Il y a quelque chose d’assez magique dans ce processus. 

Avez-vous Ă©tĂ© surpris que ce soit un rĂ©alisateur français qui s’attelle Ă  cette tĂąche ? 

Non. Je viens rĂ©guliĂšrement en France promouvoir mes livres et constate depuis longtemps que les Français partagent les mĂȘmes prĂ©occupations que les AmĂ©ricains vis-Ă -vis du pouvoir et de la justice. J’étais simplement curieux de voir comment Gilles Bannier rĂ©ussirait Ă  contourner certains obstacles juridiques, la lĂ©gislation n’étant pas la mĂȘme dans les deux pays. 

En France, la peine de mort est abolie depuis trente-quatre ans et les couloirs de la mort dans lesquels sĂ©journe Jeff, votre hĂ©ros dans le livre, n’existent pas. 

La peine de mort reste un grave problĂšme aux Etats-Unis, mais ce n’est pas l’aspect le plus important du roman, qui s’attache avant tout Ă  dĂ©noncer l’injustice et le racisme social, toutes choses que vous connaissez parfaitement en France. Ces diffĂ©rences juridiques ne constituaient finalement que des problĂšmes assez mineurs : fondamentalement, le film n’est pas trĂšs diffĂ©rent du livre. 
« LA PEINE DE MORT RESTE UN GRAVE PROBLÈME AUX ETATS-UNIS, MAIS CE N’EST PAS L’ASPECT LE PLUS IMPORTANT DU ROMAN, QUI S’ATTACHE AVANT TOUT À DÉNONCER L’INJUSTICE ET LE RACISME SOCIAL. » 
Avez-vous discutĂ© avec Gilles Bannier de la direction qu’il souhaitait donner au projet ? 

Non. Cela n’aurait pas Ă©tĂ© bĂ©nĂ©fique et je ne crois pas que lui-mĂȘme l’aurait souhaitĂ© : le propre d’une bonne adaptation est de prendre certaines libertĂ©s vis-Ă -vis de l’Ɠuvre. Tout ce que j’avais Ă  faire, c’était de le laisser tranquille et d’attendre qu’il finisse son film. Gilles et moi ne nous sommes rencontrĂ©s qu’une fois celuici terminĂ©. 

Quels traits physiques prĂȘtiez-vous Ă  votre hĂ©ros lorsque vous Ă©criviez ? 

Il devait incarner Monsieur Tout-le-monde, un type absolument ordinaire, sans rien qui dépasse. 

Que pensez-vous du choix de Reda Kateb pour l’interprĂ©ter ? 

Je l’avais vu, et aimĂ©, dans ZERO DARK THIRTY , le film de Kathryn Bigelow - Ă  l’époque, je pensais que c’était un acteur amĂ©ricain. Puis j’ai dĂ©couvert UN PROPHÈTE de Jacques Audiard et j’ai compris qu’il Ă©tait français. Cela a Ă©tĂ© une heureuse surprise de le retrouver dans ARRÊTEZ-MOI LÀ. Reda Kateb traverse le film d’une façon trĂšs douce, mĂȘme si on ne retrouve pas forcĂ©ment cette douceur dans le livre. Samson, son personnage, est plus positif et plus aimable que ne l’est Jeff : il est moins acide, peut-ĂȘtre un peu moins sauvage - il a une petite amie - mais il a la mĂȘme humilitĂ© : c’est quelqu’un qui n’a pas vraiment rĂ©ussi sa vie, il laisse venir les Ă©vĂ©nements Ă  lui, et Reda Kateb est parfait dans ce rĂŽle. 

On est frappĂ© de voir Ă  quel point l’innocence de l’inculpĂ© compte finalement peu dans cette affaire. 

Contrairement Ă  ce que croient la plupart des gens, justice et moralitĂ© ne vont pas forcĂ©ment de pair. Cela ne se passe pas comme ça, il n’est mĂȘme pas Ă©crit dans la loi qu’une personne doit ĂȘtre libĂ©rĂ©e si elle est innocente. La scĂšne Ă  la fin du procĂšs est tout Ă  fait exemplaire Ă  ce titre : alors que la fillette est retrouvĂ©e et que l’innocence de Samson est donc prouvĂ©e, Samson n’est pas libĂ©rĂ© pour autant. Cela n’a rien d’exceptionnel et c’est un sujet que j’avais Ă  cƓur d’explorer Ă  travers ce personnage. 

Sa candeur finirait presque par en faire le coupable idéal. 

Il est naĂŻf, c’est vrai, et croit vraiment que son innocence est suffisante, mais je dirais plutĂŽt qu’aux Etats-Unis, et sans doute en France aussi, si vous n’avez pas d’argent et si vous vivez seul, que vous n’ĂȘtes pas mariĂ©, vous devenez une cible parfaite aux yeux du systĂšme judiciaire. On peut vous accuser de n’importe quoi. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas commis un crime que vous ne courez pas le risque d’ĂȘtre arrĂȘtĂ© un jour. La seule protection, c’est d’ĂȘtre riche et d’avoir des relations. 
« LA SEULE PROTECTION, C’EST D’ÊTRE RICHE ET D’AVOIR DES RELATIONS.» 
Le héros commet des erreurs : il commence par mentir, au moins par omission. 

Personne n’est immĂ©diatement honnĂȘte lors d’un interrogatoire de police. Et puis, il y a cette histoire de course gratuite. Il risque de perdre sa licence, c’est sĂ©rieux. 

Chauffeur de taxi, est-ce un des nombreux mĂ©tiers que vous avez exercĂ©s parallĂšlement Ă  votre activitĂ© d’écrivain ? 

Oui, en 1986, j’ai conduit un taxi durant six semaines Ă  Philadelphie. Ce n’était pas trĂšs lucratif. La location du taxi me coĂ»tait 50 dollars par nuit. Comme je dĂ©butais, on m’avait confiĂ© les crĂ©neaux du lundi, du mardi et du mercredi, des nuits oĂč la clientĂšle Ă©tait rare, et j’avais beaucoup de difficultĂ©s Ă  ramener davantage que les 50 dollars de ma mise. C’est tout juste si au bout d’une semaine de travail de 36 heures, je parvenais Ă  gagner 8 dollars. J’ai jetĂ© l’éponge. Pour bien vivre dans ce mĂ©tier, il faut s’accrocher. 

Pour revenir au film, diriez-vous de votre Ă©criture qu’elle est cinĂ©matographique ? 

Je dirais qu’elle l’est presque Ă  mon insu. Je suis un enfant du cinĂ©ma autant qu’un enfant de la littĂ©rature. Les idĂ©es me viennent de façon trĂšs visuelle, et j’ai conscience de dĂ©couper les choses un peu comme le ferait un rĂ©alisateur. J’ai dĂ©jĂ  un peu mĂąchĂ© le travail du cinĂ©aste ! 

N’avez-vous jamais eu envie d’écrire un scĂ©nario, voire de passer Ă  la mise en scĂšne ? 

Je ne suis pas certain d’ĂȘtre la bonne personne pour cela : j’aime avoir le contrĂŽle total sur ce que je fais. Il faudrait vraiment que je sois en mesure de prendre toutes les dĂ©cisions sans que personne ne vienne m’apporter la contradiction. Je prĂ©fĂšre rester Ă©crivain.
↧

Viewing all articles
Browse latest Browse all 1673

Trending Articles