Drame/De bons acteurs mais un peu fade dans l'ensembleÂ
Réalisé par Gilles Bannier
Avec Reda Kateb, Léa Drucker, Gilles Cohen, Erika Sainte, Thémis Pauwels, Stéphanie Murat, Luc-Antoine Diqueiro, Quentin Baillot...
Long-métrage Français
Durée : 01h34mn
Année de production : 2014
Distributeur : EuropaCorp Distribution
Date de sortie sur nos écrans : 6 janvier 2016
RĂ©sumĂ© : Chauffeur de taxi Ă Nice, Samson Cazalet, la trentaine, charge une cliente ravissante Ă lâaĂ©roport. Un charme rĂ©ciproque opĂšre. Le soir mĂȘme, la fille de cette femme disparaĂźt et des preuves accablent Samson. Comment convaincre de son innocence lorsquâon est le coupable idĂ©al ?
Bande annonce (VF)
Extrait "La rencontre" (VF)
Extrait "L'interrogatoire" (VF)
Extrait "Visite en prison" (VF)
Ce que j'en ai pensĂ© : ARRĂTEZ-MOI LĂ est une adaptation du roman amĂ©ricain THE CAB DRIVER de Iain Levison (dont le titre en français est le mĂȘme que celui du film).Â
Avec ARRĂTEZ-MOI LĂ, Gilles Bannier, le rĂ©alisateur adopte un point de vue rĂ©aliste, proche du documentaire sur l'histoire de cet homme qui doit affronter la machine judiciaire sans prĂ©paration, sans appui et sans expĂ©rience. En tant que spectateurs, nous n'accĂ©dons qu'Ă la vision du personnage principal, Samson. Pourquoi pas ?Â
Cependant, bien que le film se suive facilement et qu'il y ait de jolies scĂšnes comme la rencontre des deux personnages principaux par exemple, j'ai trouvĂ© l'ensemble un peu fade. Autant, j'approuve que le rĂ©alisateur ait dĂ©cidĂ© de s'Ă©loigner des conventions du genre, autant le manque d'Ă©motions affichĂ©es m'a gĂȘnĂ©. L'Ă©tincelle qui nous emporterait dans l'histoire et dans les sentiments traversĂ©s par les protagonistes fait ici dĂ©faut.
Le personnage de l'avocat commis d'office, Maßtre Portal, interprété par Gilles Cohen, m'a décontenancé car il change totalement le ton du film pour l'emmener vers la comédie, alors que pour moi, c'est un véritable drame qui se joue pour Samson. Je pense que Gilles Bannier a subtilement évité le mélo dans l'ensemble de son film, ce qui est trÚs positif pour ce genre d'histoire, et qu'il n'avait donc pas forcément autant besoin de forcer le trait sur ce personnage-là .
J'ai apprĂ©ciĂ© l'interprĂ©tation de Reda Kateb dans le rĂŽle de Samson Cazalet. Il lui apporte une fragilitĂ© touchante. J'aurais juste souhaitĂ© que ce protagoniste ait un peu plus de relief.Â
LĂ©a Drucker, qui interprĂšte Louise Lablache, joue Ă©galement trĂšs bien, mais j'ai le mĂȘme reproche que pour Samson vis-Ă -vis de son personnage.
ARRĂTEZ-MOI LĂ a un style particulier, apportĂ© par la vision de son rĂ©alisateur. Bien que ce style ne m'ait pas spĂ©cialement convaincu, je trouve le thĂšme intĂ©ressant et le plaisir de voir jouer les acteurs intact. Si vous aimez les approches rĂ©alistes, ce film a les atouts pour vous plaire.
Avec ARRĂTEZ-MOI LĂ, Gilles Bannier, le rĂ©alisateur adopte un point de vue rĂ©aliste, proche du documentaire sur l'histoire de cet homme qui doit affronter la machine judiciaire sans prĂ©paration, sans appui et sans expĂ©rience. En tant que spectateurs, nous n'accĂ©dons qu'Ă la vision du personnage principal, Samson. Pourquoi pas ?Â
Cependant, bien que le film se suive facilement et qu'il y ait de jolies scĂšnes comme la rencontre des deux personnages principaux par exemple, j'ai trouvĂ© l'ensemble un peu fade. Autant, j'approuve que le rĂ©alisateur ait dĂ©cidĂ© de s'Ă©loigner des conventions du genre, autant le manque d'Ă©motions affichĂ©es m'a gĂȘnĂ©. L'Ă©tincelle qui nous emporterait dans l'histoire et dans les sentiments traversĂ©s par les protagonistes fait ici dĂ©faut.
Le personnage de l'avocat commis d'office, Maßtre Portal, interprété par Gilles Cohen, m'a décontenancé car il change totalement le ton du film pour l'emmener vers la comédie, alors que pour moi, c'est un véritable drame qui se joue pour Samson. Je pense que Gilles Bannier a subtilement évité le mélo dans l'ensemble de son film, ce qui est trÚs positif pour ce genre d'histoire, et qu'il n'avait donc pas forcément autant besoin de forcer le trait sur ce personnage-là .
J'ai apprĂ©ciĂ© l'interprĂ©tation de Reda Kateb dans le rĂŽle de Samson Cazalet. Il lui apporte une fragilitĂ© touchante. J'aurais juste souhaitĂ© que ce protagoniste ait un peu plus de relief.Â
LĂ©a Drucker, qui interprĂšte Louise Lablache, joue Ă©galement trĂšs bien, mais j'ai le mĂȘme reproche que pour Samson vis-Ă -vis de son personnage.
ARRĂTEZ-MOI LĂ a un style particulier, apportĂ© par la vision de son rĂ©alisateur. Bien que ce style ne m'ait pas spĂ©cialement convaincu, je trouve le thĂšme intĂ©ressant et le plaisir de voir jouer les acteurs intact. Si vous aimez les approches rĂ©alistes, ce film a les atouts pour vous plaire.
NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'aprÚs avoir vu le film pour éviter de vous le faire spoiler à 100% !)
AprÚs la projection, le réalisateur, Gilles Bannier ainsi que les acteurs Léa Drucker et Reda Kateb ont eu la gentillesse de venir répondre à nos questions. Je partage les vidéos dans les notes de production car elles contiennent beaucoup de spoilers.
ENTRETIEN AVEC GILLES BANNIER
Pourquoi avoir souhaitĂ© adapter ce livre de Iain Levison ?Â
Iain Levison est lâun de mes auteurs favoris. Lâhumour avec lequel il traite ses sujets, pour la plupart dramatiques, me ravit, et je guettais depuis des annĂ©es lâoccasion dâadapter une de ses Ćuvres. Jâai dĂ©vorĂ© ARRĂTEZ-MOI LĂ le jour de sa publication en pensant quâil y avait lĂ la matiĂšre dâun film fort et simple.Â
Le roman, tirĂ© dâun fait divers qui sâest dĂ©roulĂ© aux EtatsâUnis, suit le hĂ©ros jusque dans les couloirs de la mort. Nâavez-vous pas eu peur de le transposer dans un pays qui a aboli la peine de mort depuis plus de trente ans ?Â
Garder le suc et la force de ce sujet en lâadaptant au droit français, trĂšs diffĂ©rent du droit nord-amĂ©ricain, Ă©tait tout lâenjeu de cette adaptation. Avec Nathalie Hertzberg, ma coscĂ©nariste, nous avons rencontrĂ© plusieurs avocats pĂ©nalistes pour Ă©tudier les pistes qui nous permettraient de relever ce challenge. Et avons Ă©crit les premiĂšres versions du scĂ©nario sous le regard de lâun dâentre eux : le film devait sâinscrire dans un cadre juridique irrĂ©prochable. Au final, le fait que Samson Cazalet soit condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ© avec une peine incompressible de 22 ans, câest-Ă -dire sa vie entiĂšre dâadulte, me paraĂźt finalement ĂȘtre un atout pour le film : il y a quelque chose de monstrueux dans la perspective de se faire voler chaque jour de sa vie pour un homme innocent des crimes dont on lâaccuseâŠÂ
Dans le film â comme dans le roman â la police, puis la justice font preuve dâune incroyable lĂ©gĂšretĂ©, acculant le pauvre Samson Ă porter la responsabilitĂ© de cet enlĂšvement.Â
Lâinjustice est une chose qui me touche personnellement, câest comme un trĂšs mauvais numĂ©ro que vous tirez Ă la loterie de la vie et ce numĂ©ro vous change pour toujours. Au bout de dix ans passĂ©s Ă dĂ©crypter la machine judiciaire de façon quasi documentaire pour les besoins des sĂ©ries policiĂšres et des thrillers que jâai rĂ©alisĂ©s pour la tĂ©lĂ©vision â la saison 2 dâ ENGRENAGES, notamment â jâavais envie de tirer quelques rĂ©flexions simples autour dâelle. Le destin de cet homme qui va tout perdre, alors quâil nâa strictement rien fait, mâen donnait lâoccasion. Samson est incapable de se dĂ©fendre correctement : il ne connaĂźt rien aux rouages de la justice et nâa pas conscience de la nĂ©cessitĂ© dâavoir un bon avocat - il pense que son innocence est suffisante. Plus tard, il pourrait faire appel Ă des associations, par le biais des mĂ©dias, mais ne possĂšde pas non plus cette culture du recours Ă lâaide juridique quâont beaucoup dâAnglo-Saxons. Et, Ă©lĂ©ment trĂšs important, il vit seul, en province et sans soutien familial. Ne nous voilons pas la face : tout comme dans le domaine de la santĂ©, il existe une justice Ă deux vitesses en France. Câest contraire Ă lâĂ©thique du service public, mais câest une rĂ©alitĂ©. Chauffeur de taxi, Samson nâa ni argent, ni rĂ©seau.
Son ignorance et sa condition sociale nâexcusent ni les bĂ©vues des policiers ni celles des juges.Â
La justice française, dont le mĂ©canisme date de la RĂ©volution française, nâest pas toujours juste en dĂ©pit de ses efforts pour respecter la dĂ©mocratie ; elle a des failles. Dans cette histoire, câest vrai, la police commence par « saloper » le travail et, pourtant, quelles que soient les erreurs commises par les policiers enquĂȘtant sur lâaffaire, je ne les dĂ©teste pas. Ils sont un peu ridicules â jâaime assez les gens un peu ridicules. Ils Ă©voluent dans lâarriĂšrepays niçois oĂč la criminalitĂ© est faible et, contrairement Ă leurs collĂšgues niçois, ont peu dâexpĂ©rience en la matiĂšre. Lorsquâune affaire de cette importance leur tombe dessus, forcĂ©ment, ils font du zĂšle et cĂšdent Ă la pression trĂšs forte des Ă©lus locaux, des journalistes et de la population Ă laquelle un officier plus expĂ©rimentĂ© rĂ©sisterait sans doute mieux. Et puis, ils sont quand mĂȘme en face de faits troublants : Samson a omis de dire quâil est entrĂ© dans la maison de cette petite fille qui a Ă©tĂ© enlevĂ©e et omis aussi de parler de cette course effectuĂ©e gratuitement Ă la CitĂ© Universitaire avec les deux jeunes filles. Ă leurs yeux, ces deux mensonges sont terribles. Ils sont fiers dâavoir trouvĂ© le prĂ©tendu coupable de cette affaire mais sans doute vivront-ils toute leur vie avec le poids de cette responsabilitĂ© quand ils comprendront leur erreur â câest compliquĂ© pour un flic dâenvoyer un innocent en prison, mais câest une autre histoire, un autre film.Â
Ils ne tiennent absolument pas compte des Ă©lĂ©ments Ă dĂ©charge que leur fournit SamsonâŠÂ
Non, ils nâĂ©coutent rien.
« SAMSON EST VICTIME DE CETTE LOTERIE INSENSĂE QUâEST LA VIE. »
âŠEt nâhĂ©sitent pas Ă fabriquer de faux tĂ©moignages contre Samson.Â
Ce marchĂ© passĂ© avec des tĂ©moins dont on monnaye la mise en libertĂ© est-il le fait des policiers ? Du parquet ? Il y a nĂ©cessairement quelquâun dans la chaĂźne qui a voulu faire rentrer lâhistoire dans le moule en faisant passer ces tĂ©moignages en force. Câest insupportable, totalement contraire Ă la philosophie de la justice française et le responsable paiera sĂ»rement son geste. Encore une fois, Samson est victime de cette loterie insensĂ©e quâest la vie. Il y a, autour de lui, une accumulation de coĂŻncidences : il tombe sur les mauvaises personnes au mauvais moment. Cela arrive tout le temps.Â
Il y a tout de mĂȘme une sorte dâaveuglement gĂ©nĂ©ral autour de Samson : comment expliquer que mĂȘme sa petite amie se mette Ă douter de son innocence ?Â
Jâai lu beaucoup de tĂ©moignages de personnes victimes dâerreurs judiciaires. Toutes ont en commun le dĂ©sir de redevenir anonymes une fois blanchies, et toutes parlent de la façon dont le regard de leur entourage a changĂ© Ă partir du moment oĂč elles ont mis le doigt dans la machine judiciaire. DĂšs la garde Ă vue, la prĂ©somption dâinnocence, qui est pourtant un pilier du droit français, vole en Ă©clats. La prĂ©somption de culpabilitĂ© prend le relais. Tout cela est dâune violence extrĂȘme.Â
La juge en charge de lâinstruction du dossier nâĂ©prouve, elle non plus, pas le moindre doute sur son implication dans lâenlĂšvement.Â
Elle est jeune et sort probablement tout juste de lâĂcole Nationale de la Magistrature. Elle est un peu comme le juge Burgaud dans lâaffaire dâOutreau : elle veut sâaffirmer.
Et, comble dâinfortune pour Samson, lâavocat commis dâoffice chargĂ© de le dĂ©fendre est totalement incompĂ©tent.Â
Jâai un immense respect pour les juges dâinstruction et jâadore les avocats. Mais, pour avoir assistĂ© Ă beaucoup de procĂšs dâassises et passĂ© du temps dans les tribunaux correctionnels, jâai pu constater quâil en existait de trĂšs mauvais. On nâimagine pas Ă quel point le sort dâun justiciable peut changer en fonction de la personne qui le dĂ©fend. Nous sommes tous impressionnĂ©s par les rĂ©parties des grands tĂ©nors, le brio et la vitesse de rĂ©flexion dâun Ăric Dupond-Moretti, ou dâun Henri Leclerc quand nous les dĂ©couvrons Ă la tĂ©lĂ©vision : ces hommes-lĂ sont capables de retourner une cour dâassises. Mais Ă cĂŽtĂ© dâeux, combien de mĂ©diocres⊠Soit parce quâils sont dĂ©butants, soit parce quâils nâont tout simplement pas les atouts dâun acteur : la voix, le verbe, le coffre.Â
Comment expliquer que MaĂźtre Portal (Gilles Cohen) fasse preuve dâautant de nĂ©gligence vis-Ă -vis des pistes susceptibles dâinnocenter son client ?
Il ne lâĂ©coute pas et, surtout, il ne travaille pas assez. Arriver Ă faire acquitter un innocent est un travail colossal que ce pauvre commis dâoffice est incapable dâaccomplir, faute de connaissances suffisantes et de persĂ©vĂ©rance. Lorsquâon lit BĂTE NOIRE, le livre dâĂric Dupond-Moretti, on comprend que cet homme est avant tout une bĂȘte de travail. Portal se rĂ©veille un peu au moment du procĂšs : il rĂ©ussit Ă faire comparaĂźtre la petite amie de Samson ainsi que lâancien flic de Perpignan qui pense connaĂźtre le vrai coupable. Il nâa pas lâhabitude des assises. Tout dâun coup, il a un petit dĂ©clic : câest comme sâil se retrouvait dans la peau dâun figurant de lâOpĂ©ra de Perpignan auquel on demanderait dâinterprĂ©ter un rĂŽle sur la scĂšne de la ComĂ©die-Française : câest la chance de sa vie, on voit quâil est portĂ© par la puissance de cette institution â il a une espĂšce dâenvolĂ©e et ses arguments ne sont pas si mauvais â mais câest pour mieux sâĂ©crouler ensuite : il faut ĂȘtre trĂšs bon pour tenir des jours entiers dans ce théùtre que sont les assises. Jâadorais lâidĂ©e que sa plaidoirie fasse un flop. Le cinĂ©ma montre rarement cela.Â
Le rĂ©quisitoire de lâavocat gĂ©nĂ©ral est Ă peine plus brillant mais lui, emporte lâadhĂ©sion des jurĂ©s.Â
Son discours est structurĂ©, il a choisi ses mots, la façon de les dire et fait des effets de manche. MĂȘme si ceux-ci sont dignes dâun acteur de vaudeville, cela impressionne les jurĂ©s, le dĂ©corum les impressionne â on nâimagine pas la puissance de la reprĂ©sentation des assises.
« JE VOULAIS RACONTER LâHISTOIRE DâUN HOMME Ă LA PREMIĂRE PERSONNE. »
Dans lâaffaire dont sâinspire Iain Levison, Richard Ricci, la vraie victime de ce fait divers, meurt dâune hĂ©morragie en prison quelques heures avant que la fillette ne soit retrouvĂ©e.Â
Et câest une des difficultĂ©s scĂ©naristiques que jâai eue Ă rĂ©soudre. Le premier traitement de lâadaptation Ă©tait trĂšs long â plus de 200 pages â et le problĂšme sâest trĂšs vite posĂ© de raconter ou non la prison. Jâavais Ă©crit des scĂšnes trĂšs longues et trĂšs proches du roman oĂč lâon suivait la transformation du personnage, notamment au contact dâun serial killer qui devenait son confident. Jâadorais cet aspect du roman et la façon dont cet esprit dĂ©rangĂ© infusait lâesprit de Samson, mais je sentais que je partais sur un autre film â un film de prison â et je nâen avais pas envie. Je voulais raconter lâhistoire dâun homme Ă la premiĂšre personne.
Jâai finalement trouvĂ© plus intĂ©ressant de montrer les souffrances endurĂ©es par Samson Ă travers les scĂšnes au Grand HĂŽtel oĂč lâinstalle sa nouvelle avocate : ce nâest plus un lieu de villĂ©giature, juste une nouvelle cellule un peu plus dorĂ©e. On mesure bien comment son incarcĂ©ration lâa abĂźmĂ©.Â
Il y a malgrĂ© tout cet Ă©pisode oĂč Samson doit ĂȘtre hospitalisĂ©.Â
Je ne mâappesantis pas, mais câĂ©tait important de montrer la capacitĂ© de somatisation gĂ©nĂ©rĂ©e par la prison : on meurt en prison, et pas seulement par suicide. Beaucoup de dĂ©tenus sont atteints de cancer ou victimes dâhĂ©morragie, comme Richard Ricci. La somatisation est dâautant plus forte lorsquâon est incarcĂ©rĂ© en Ă©tant innocent.Â
Et ces scĂšnes superbes au dĂ©but de sa dĂ©tention ?Â
Elles ont Ă©tĂ© tournĂ©es au centre pĂ©nitentiaire de La FarlĂšde Ă Toulon, une prison ultramoderne oĂč nous avons eu la chance dâĂȘtre accueillis pendant une journĂ©e. Jâavais une volontĂ© trĂšs forte de tourner dans une vraie prison, quitte Ă traverser la France pour cela. Je tenais Ă ce que Reda Kateb sâimprĂšgne de la vĂ©ritĂ© des lieux. Autour de lui, les dĂ©tenus sont de vrais dĂ©tenus et les surveillants de vrais surveillants.Â
Parlez-nous de cette scĂšne surrĂ©aliste au tribunal oĂč Samson est maintenu en prison alors que lâon vient de retrouver la petite MĂ©lanie et son ravisseur.Â
Câest la vĂ©ritĂ© de la justice ! Ă partir du moment oĂč Samson sâest vu lire sa condamnation par le PrĂ©sident du tribunal, et mĂȘme sâil est avĂ©rĂ© quâil nâa pas enlevĂ© cette petite fille, il est obligĂ© de repasser par la case prison pendant au moins trois jours. Et ne peut ĂȘtre innocentĂ© totalement quâaprĂšs la rĂ©vision de son procĂšs. Câest une rĂ©alitĂ© française dâautant plus aberrante que la rĂ©vision dâun procĂšs prend Ă©normĂ©ment de temps. Lâironie de lâhistoire est que si cette fillette avait Ă©tĂ© retrouvĂ©e ne serait-ce que quelques heures auparavant, Samson aurait Ă©tĂ© libĂ©rĂ© sur-le-champ.Â
En mettant le personnage entre les mains dâun grand groupe dâavocats, vous nâĂȘtes pas trĂšs tendre avec cette profession incarnĂ©e par MaĂźtre LaferriĂšre (StĂ©phanie Murat).Â
Je trouve que cette femme a une certaine humanitĂ©. Elle Ă©prouve un peu de compassion pour son client, elle le regarde enfiler sa vieille veste, elle est assez touchĂ©e par lui. Mais, Ă©videmment, elle est lĂ pour le business. Il y a bien longtemps que les pĂ©nalistes amĂ©ricains se sont engouffrĂ©s dans le filon des erreurs judicaires. Cela commence Ă se dĂ©velopper en France et jâai dâailleurs lĂ©gĂšrement anticipĂ© sur les indemnitĂ©s que cette avocate compte obtenir : 1 million dâeuros, câest ce que reçoivent aujourdâhui des gens qui ont passĂ© entre 5 et 7 ans en prison. Mais on atteindra cette somme pour une seule annĂ©e dâemprisonnement dans les annĂ©es qui viennent.Â
Comment avez-vous construit le personnage de ce chauffeur de taxi, finalement pas si Ă©loignĂ© de son modĂšle littĂ©raire texan ?Â
En lâĂ©crivant, ma prĂ©occupation Ă©tait quâen France, les taxis souffrent dâune image dĂ©sastreuse. Câest soit le vieux chauffeur rĂąleur, français de souche, soit le nouveau, gĂ©nĂ©ralement issu de lâimmigration, infiniment plus gentil dâailleurs ; tous sont parisiens. Lâimage du taxi en province nâexiste pas : sa reprĂ©sentation cinĂ©matographique est littĂ©ralement Ă©crasĂ©e par lâimage du chauffeur de taxi amĂ©ricain et notamment par le TAXI DRIVER, de Scorsese. Comment ne pas tomber dans les clichĂ©s ? Jâai imaginĂ© que Samson passait ses journĂ©es avec son chat, quâil avait une passion pour la musique et jâaimais lâidĂ©e quâil ait son propre espace de libertĂ© en conduisant dans ce pays magnifique quâest la CĂŽte dâAzur. Je ne voulais donner aucune explication Ă son sujet : il est libre, solitaire, câest la vie quâil sâest choisie.Â
Il est trĂšs gĂ©nĂ©reux. Lorsque son amie vient sâexcuser, on sent quâil est prĂȘt Ă renouer avec elle. Il lui pardonne.Â
Samson sait Ă©couter - peu de gens ont cette capacitĂ©. Quelquâun qui sait Ă©couter sait comprendre et pardonner. Câest une espĂšce dâĂ©vidence, mais quâil me semblait bon de rappeler Ă travers son comportement. AprĂšs le froid de leurs retrouvailles, il pense un moment quâils pourraient revivre une histoire ensemble, mais câest impossible. Beaucoup de personnes victimes dâerreurs judicaires racontent quâelles ne peuvent plus vivre comme avant. Samson nâarrive plus Ă dĂ©sirer cette femme et il la laisse partir en sachant que câest la derniĂšre fois quâil la voit.Â
Ă la fin du film, lorsquâil se rend chez la mĂšre de la petite fille avec un lapin, il est vraiment dans la rĂ©silience.Â
Il a besoin de retrouver sa vie perdue il y a un an et de reprendre lâhistoire lĂ oĂč il en Ă©tait avant que ce drame ne lui tombe dessus. Il est prĂȘt Ă prendre tous les risques pour entendre cette petite fille lui dire quâelle ne lâa jamais vu. En le faisant, elle lâinnocente pour de bon.Â
Le dernier plan du film dans le taxi est trĂšs Ă©trange.Â
Je voulais quâun espoir naisse autour de Samson et de la mĂšre de la petite fille. Leur premiĂšre rencontre Ă©tait pleine de sĂ©duction et ce sont dĂ©sormais deux personnes dĂ©truites qui pourraient mĂȘler leurs destins, qui pourraient sâĂ©pauler lâun lâautre. Cette femme, quâil vient de dĂ©poser Ă lâaĂ©roport, arrive comme dans un rĂȘve dans son taxi. Mais on sait quâelle va revenir : ils vont se revoir, il lâa dit Ă la petite fille Ă travers ce lapin quâil lui a donnĂ©. Elle a beaucoup Ă se faire pardonner puisquâelle a participĂ© Ă lâaccusation de Samson mais, mĂȘme si elle a retrouvĂ© son enfant, elle et sa fille ont vĂ©cu un vĂ©ritable traumatisme.Â
Un traumatisme que vous rendez palpable durant le procĂšs, littĂ©ralement filmĂ© Ă travers son regard.Â
Je voulais que le procĂšs dure assez longtemps et plutĂŽt que de faire les traditionnels plans sur le public, jâai choisi de donner la possibilitĂ© au spectateur dâĂ©tudier les rĂ©actions de la mĂšre, au fur et Ă mesure de lâĂ©volution des dĂ©bats : on lit sur son visage tous les sentiments qui lâaniment - la peur, la culpabilitĂ©, la dĂ©tresse, le doute, lâespoir⊠Son regard est comme un catalyseur des Ă©vĂ©nements.Â
Reda Kateb est exceptionnel dans le film. Comment lâavez-vous choisi ?Â
Tant que le scĂ©nario nâĂ©tait pas terminĂ©, je mâĂ©tais interdit dâenvisager un acteur pour le rĂŽle. Mais plus jâĂ©crivais, plus Reda assaillait mes pensĂ©es - son exigence, ses valeurs, sa profondeur⊠à un moment, jâai capitulĂ© et je lui en ai parlĂ©. Il a lu les premiĂšres versions que je lui ai soumises, il Ă©tait partant. Reda a fait ses premiers pas devant une camĂ©ra avec moi Ă lâoccasion de la saison 2 dâ ENGRENAGES. Nous sommes restĂ©s proches. LâĂ©criture du film achevĂ©e, il nâĂ©tait pas encore si connu et les financiers auxquels les productrices parlaient de lui nous conseillaient des noms plus prestigieux. Je me suis obstinĂ© : il nâĂ©tait pas question pour moi de tourner sans Reda. Je lâavais choisi, il nây avait plus dâalternative possible : un film est dâabord le dĂ©sir dâun metteur en scĂšne pour son acteur. En imposant son rythme au personnage, Reda Kateb a, dâune certaine façon, induit la mise en scĂšne dâ ARRĂTEZ-MOI LĂ. Je suis peut-ĂȘtre arrivĂ© sur le plateau avec quelques idĂ©es, des envies dâeffets, mais en voyant son travail sur le plateau, je les ai remisĂ©es. Le film devait se construire autour de la simplicitĂ© et de la force de son interprĂ©tation. Il ne devait pas y avoir de filtres trop voyants susceptibles dâempĂȘcher le spectateur dâĂȘtre en phase avec lui. Son jeu mâa dictĂ© de longs plans simples, une force documentaire.Â
LĂ©a Drucker sâest-elle imposĂ©e avec la mĂȘme Ă©vidence ?
Jâavais dâabord pensĂ© Ă elle pour le rĂŽle de MaĂźtre LaferriĂšre qui Ă©tait beaucoup plus dĂ©veloppĂ© dans les premiĂšres versions et elle sâĂ©tait montrĂ©e enthousiaste. Un an plus tard, je lui ai fait lire une nouvelle version, et LĂ©a mâa confiĂ© son dĂ©sir dâinterprĂ©ter le personnage de la mĂšre. JâĂ©tais ravi de le lui donner. LĂ©a est une actrice extraordinaire, totalement sous-employĂ©e en France. Ses regards valent de longs discours.Â
Parlez-nous du choix de Nice et sa rĂ©gion.Â
DĂšs le dĂ©but, jâavais deux endroits en tĂȘte : Perpignan, dont je suis originaire et que je connais donc bien, et Nice. Jâadore lâidĂ©e de la vitrine que reprĂ©sente la Promenade des Anglais â la mer turquoise, les palaces â et de lâarriĂšre-pays, avec ses histoires peu reluisantes. Le rapport Nice-Grasse me sĂ©duisait aussi.Â
Vous venez de la tĂ©lĂ©vision. ARRĂTEZ- MOI LĂ est votre premier long-mĂ©trage pour le cinĂ©ma.Â
Durant la prĂ©paration et les premiers jours de tournage, je nâavais pas le sentiment de rĂ©aliser un premier film. Ayant rĂ©alisĂ© beaucoup dâĂ©pisodes pour le petit Ă©cran, je faisais confiance Ă mon expĂ©rience. Jâai Ă©tĂ© trĂšs surpris de constater que certaines de mes certitudes volaient en Ă©clats. On ne tourne pas pour le cinĂ©ma comme on tourne pour la tĂ©lĂ©vision : jâai pris davantage de risques et Alain Marcoen, le chef opĂ©rateur, qui est aussi celui des frĂšres Dardenne, mâa poussĂ© dans cette direction. MĂȘme si jâai le sentiment de mâĂȘtre toujours battu pour ne pas ĂȘtre atteint par lâautocensure gĂ©nĂ©rĂ©e par le travail Ă la tĂ©lĂ©vision, jâai dĂ©couvert une forme de libertĂ© supplĂ©mentaire. CâĂ©tait excitant, vertigineux, comme une sorte de renaissance Ă la mise en scĂšne.Â
Aviez-vous des films en tĂȘte en tournant ?Â
Les documentaires que Raymond Depardon a consacrĂ©s Ă lâappareil judiciaire Ă©taient une rĂ©fĂ©rence absolue pour moi ainsi que la trilogie de François Chilowicz â HORS LA LOI â je les ai dâailleurs montrĂ©s Ă Reda Kateb. Jâai pensĂ© aussi Ă toute la pĂ©riode amĂ©ricaine de Fritz Lang et aux films de Sidney Lumet qui confrontent des hommes normaux Ă lâappareil judiciaire. Ce sont des cinĂ©astes qui font confiance Ă leur histoire et Ă leurs personnages et dont la mise en scĂšne est invisible, ce qui reprĂ©sente pour moi toute la grandeur du cinĂ©ma. Ma plus grande prĂ©occupation Ă©tait de sortir des clichĂ©s qui entourent la justice et de mettre un peu dâhumour dans tout ce drame. Dans la vie, lâhumour est insĂ©parable du drame.Â
Un mot sur la musique ?Â
Je nâen voulais quasiment pas : lâinfluence du cinĂ©ma de Raymond Depardon, toujours. Je trouvais plus intĂ©ressant de donner une force documentaire au film. AprĂšs le premier montage, jâai quand mĂȘme demandĂ© Ă HervĂ© Salters, le leader de General Elektriks, qui a fait la musique des BEAUX MECS (sĂ©rie TV diffusĂ©e sur France 2 en 2011) et de PARIS, de travailler sur des moments du film bien prĂ©cis. Puis jâai fait appel Ă un second compositeur et ai mĂ©langĂ© les deux partitions â lâune, composĂ©e Ă partir de cordes, trĂšs prĂ©sente dans la premiĂšre partie, et lâautre, plus moderne, que lâon retrouve plutĂŽt Ă la fin du film.Â
Un mot sur le chat, Gershwin ?Â
Jâadore les chats. Jâai souvent tournĂ© avec eux et câest trĂšs compliquĂ©. Jâai contactĂ© le dresseur qui mâavait permis de tourner une scĂšne quâon voit dans PARIS (sĂ©rie TV diffusĂ©e sur Arte en 2015). Il est arrivĂ© avec trois chats â deux jumeaux gris, avec lesquels jâavais tournĂ© cette fameuse scĂšne et un rouquin. Le roux est montĂ© sur la table, mâa regardĂ© droit dans les yeux et a lapĂ© intĂ©gralement le verre dâeau que jâavais devant moi : câĂ©tait lui. Jâai organisĂ© une rencontre avec Reda, exactement comme on fait se rencontrer deux acteurs qui vont tourner ensemble. Et ça a Ă©tĂ© un bonheur de tourner avec lui.
ENTRETIEN AVEC REDA KATEBÂ
Vous retrouvez le rĂ©alisateur Gilles Bannier avec lequel vous aviez fait vos dĂ©buts Ă lâĂ©cran, il y a huit ans, dans la saison 2 dâ ENGRENAGES. Quâest-ce qui vous a sĂ©duit dans ce projet ?Â
CâĂ©tait un scĂ©nario trĂšs particulier, trĂšs personnel dans lequel jâai senti que Gilles avait mis toute son Ăąme. Je nâĂ©tais pas complĂštement surpris quâil ait pensĂ© Ă moi durant lâĂ©criture : Samson et moi avons beaucoup en commun.Â
Par exemple ?Â
Il appartient Ă cette catĂ©gorie que jâappelle les artistes du quotidien et qui me touche Ă©normĂ©ment. Lorsque je prends lâautoroute, je pense souvent Ă la personne qui a passĂ© sa journĂ©e Ă encaisser des tickets au pĂ©age. Jâaime imaginer quâen rentrant chez elle, elle va Ă©couter du Chopin ou lire un roman trĂšs calĂ©. Je me reconnais dans ces gens. Jâai toujours pensĂ© que lâart nâĂ©tait pas rĂ©servĂ© aux Ă©lites et surtout pas aux artistes. La vie de Samson nâa rien de lumineux ni de spectaculaire, son mĂ©tier de taxi est alimentaire et pourtant, il est nourri par la musique et le rapport Ă©troit quâil entretient avec la nature et les animaux. Sa solitude est peuplĂ©e dâune infinitĂ© de belles choses.Â
Vous avez eu connaissance du film trĂšs en amont. Avez-vous participĂ© Ă lâĂ©laboration du scĂ©nario final ?Â
Non, Gilles en est vraiment lâauteur avec Nathalie Hertzberg. Mais lui et moi avons beaucoup parlĂ© ensemble. Je me souviens, par exemple, avoir dĂ©battu avec lui de lâopportunitĂ© dâen conserver ou non les nombreuses scĂšnes de prison qui se trouvaient dans le livre. Gilles a assez vite pris le parti dâen supprimer la plupart et jâen Ă©tais heureux. Il me semblait important de trouver un autre angle pour raconter cette histoire : on ne devait pas se contenter de retracer le calvaire dâun homme broyĂ© par la machine judiciaire. Il fallait nourrir le personnage, lâaffiner. Samson sâest beaucoup enrichi au fil de lâĂ©criture.Â
Aviez-vous lu le livre de Iain Levison ?Â
Je ne lâai lu quâaprĂšs avoir dĂ©couvert le premier jet du scĂ©nario. Je trouve le film Ă la fois trĂšs fidĂšle au propos du roman et trĂšs libre dans sa forme : il rĂ©pond parfaitement aux exigences de ce type dâexercice : comment raconter cette histoire au cinĂ©ma en 2015 Ă un public français.Â
Au dĂ©but du film, on sent que Samson est Ă mille lieues de deviner ce qui lui arrive.Â
On sonne Ă sa porte, des policiers lui demandent sâils peuvent rentrer puis sâil peut les suivre. Câest un bon citoyen, un honnĂȘte homme, il nâimagine pas une seconde ce qui va suivre ; il nâa aucune mĂ©fiance.Â
Au point de paraĂźtre presque naĂŻf ?Â
Câest une naĂŻvetĂ© dont peut faire preuve tout bon citoyen croyant en la justice. Samson nâa rien Ă se reprocher : pourquoi Ă©chafauderait-il des stratĂ©gies pour se dĂ©fendre et refuserait-il de donner ses empreintes comme le lui demandent les policiers ? Il a tort, bien sĂ»r : face Ă lâappareil judiciaire, on sait quâil vaut mieux se mĂ©fier. Lors dâun tournage assez rĂ©cent, jâai eu lâoccasion de discuter avec un voyou qui avait effectuĂ© pas mal dâannĂ©es de prison et venait de purger une derniĂšre peine pour une affaire dans laquelle il nâĂ©tait en rĂ©alitĂ© pas impliquĂ©. Il mâa expliquĂ© quâil Ă©tait bien plus difficile de se dĂ©fendre lorsquâon est innocent que lorsquâon est coupable. Plus que de la naĂŻvetĂ©, je dirais que Samson a ses zones dâombre : ce nâest pas seulement un personnage vertueux, confiant et aimable. Il est habitĂ© par autre chose. CâĂ©tait important quâil ne soit pas dâune seule couleur.Â
« JâAIME ALLER CHERCHER DE LA RICHESSE DANS DES VIES DONT ON SâIMAGINE SOUVENT Ă TORT QUâELLES NâEN POSSĂDENT PAS. »Â
Comment lâavez-vous construit ?Â
Jâaime aller chercher de la richesse dans des vies dont on sâimagine souvent Ă tort quâelles nâen possĂšdent pas. Pour prĂ©parer Samson, jâai conduit ma voiture en Ă©coutant des musiques que Gilles mâavait gravĂ©es sur un CD, jâai pris pas mal de taxis et discutĂ© avec les chauffeurs. Et jâai eu la chance de pouvoir faire des lectures avec les autres acteurs. CâĂ©tait finalement une prĂ©paration assez courte, lâessentiel Ă©tait vraiment de vivre cette histoire Ă lâinstant T du tournage.Â
Samson est Ă la fois trĂšs doux, trĂšs lumineux et il est Ă©galement trĂšs secret. Comment rend-on compte de cette double dimension ?Â
Tout est dĂ©jĂ dans le scĂ©nario. Ă partir du moment oĂč sa copine lui demande pourquoi il refuse de vivre avec elle et tient tant Ă rester seul, la lumiĂšre qui Ă©mane de lui sâassombrit. Câest un garçon qui a sans doute du mal Ă grandir. Il est trĂšs Ă lâaise dans la bulle de confort un peu enfantine quâil sâest construite avec son taxi, son chat et sa musique et redoute dâen sortir. ConfrontĂ© au rĂ©el aprĂšs lâintrusion des policiers dans sa vie, il est obligĂ© dâavancer. Il fait du chemin. Quand jâai la chance de tenir un film du dĂ©but Ă la fin, comme câest le cas ici, jâai toujours le souci de voir mon personnage Ă©voluer.Â
Son avocat ne lâĂ©coute pas et ne croit pas en son innocence, les policiers, puis la juge, ne tiennent pas davantage compte des arguments quâil avance. Sa situation est parfaitement absurde.Â
Et Gilles joue beaucoup sur cette dimension. Câest parfois tellement gros quâon nâose pas y croire et pourtant, oui, ça arrive. Au Festival du Film Francophone dâAngoulĂȘme, oĂč le film Ă©tait projetĂ© pour la premiĂšre fois, jâentendais les mouvements des spectateurs dans la salle qui sâexclamaient : «Oh ! », ou, « Non, ce nâest pas possible ! ». Jâadore quand un fil se tisse ainsi avec le public. Le film est traitĂ© sur le ton de la tragĂ©die, mais on pourrait tout aussi bien imaginer une comĂ©die sur le mĂȘme thĂšme avec le mĂȘme personnage qui se retrouve face Ă une machine sur laquelle il nâa aucune prise et qui regarde hĂ©bĂ©tĂ© ce qui est en train de lui arriver.Â
« ON DOIT RESSENTIR LâĂNERGIE INTĂRIEURE DU PERSONNAGE ET SON IMPUISSANCE Ă REGARDER SE DĂLITER CE QUI COMPOSAIT SA VIE JUSQUE-LĂ.»Â
Comme le lui reproche le procureur au moment du procĂšs, Samson se comporte presque comme le spectateur de sa propre histoire.Â
Il est Ă la fois lâacteur et le tĂ©moin de ce qui lâentoure puisque tout se joue sans lui et avant lui. Câest intĂ©ressant Ă jouer : on doit ressentir lâĂ©nergie intĂ©rieure du personnage et son impuissance Ă regarder se dĂ©liter ce qui composait sa vie jusque-lĂ .Â
La rĂ©action de son amie est terrible.Â
Elle lui tourne tout simplement le dos. Il faut un courage extraordinaire pour aller tendre la main Ă un homme qui se retrouve au banc des accusĂ©s. Ceux qui nâont pas cette force ne sont pas pour autant des parias et le film nâest lĂ ni pour les juger ni pour les sauver. Jâaime beaucoup la bienveillance avec laquelle chacun des personnages est filmĂ©.Â
Samson est lui-mĂȘme empli de cette bienveillance : malgrĂ© lâincompĂ©tence de son avocat, il est capable de faire preuve de gentillesse Ă son Ă©gard quand, par miracle, celui-ci fait son travail.Â
Il y a un petit cĂŽtĂ© Ă©loge de la gentillesse dans ARRĂTEZ-MOI LĂ qui nâest pas Ă©tranger Ă la personnalitĂ© de Gilles Bannier, lâune des personnes les plus douces et les plus bienveillantes que je connaisse et chez qui la gentillesse nâest surtout pas un signe de faiblesse. Mais Samson nâest pas uniquement « gentil » par nature, ce nâest pas le benĂȘt du village : aussi mauvais soit cet avocat, il en a besoin et essaie dâen tirer le meilleur parti. Samson soigne la seule chance qui lui reste dâĂȘtre dĂ©fendu.Â
Ă la fin du film, il est animĂ© dâune facultĂ© de rĂ©silience tout de mĂȘme assez extraordinaire.Â
Jâai longtemps animĂ© des ateliers de théùtre en prison, jây suis aussi allĂ© prĂ©senter des films - dont celui-ci, trĂšs rĂ©cemment - et jâai toujours Ă©tĂ© frappĂ© de rĂ©aliser Ă quel point les gens que jây croisais, quâon pouvait penser broyĂ©s au point dâavoir perdu toute confiance en lâautre, ressortaient au contraire de ces pĂ©riodes dâincarcĂ©ration avec un cĆur encore plus ouvert. Je les admire. Ni les uns ni les autres, et moi le premier, ne savons comment nous rĂ©agirions dans une telle situation. Agirais-je comme Samson ? Je ne le crois pas. Je serais sans doute plus rĂ©voltĂ©, jâaurais moins de distance par rapport Ă ce qui lui arrive et ne serais probablement pas dans le pardon.Â
ENTRETIEN AVEC IAIN LEVISONÂ
ARRĂTEZ-MOI LĂ sâinspire dâune histoire vraie. Parlez-nous du fait divers qui en est Ă lâorigine.Â
Il concerne lâenlĂšvement dâune jeune fille de quatorze ans, Elizabeth Smart, Ă Salt Lake City, dans lâUtah. Lorsque lâĂ©vĂšnement sâest produit en 2002, jâavais Ă©tĂ© trĂšs frappĂ© par lâattitude de la presse qui sâest littĂ©ralement dĂ©chaĂźnĂ©e autour de lâaffaire durant des mois. Ce nâĂ©tait ni le premier kidnapping dans la rĂ©gion ni le premier crime de ce genre Ă sâĂȘtre produit cette annĂ©e-lĂ , mais le fait quâElizabeth Smart soit blanche, riche et jolie galvanisait les mĂ©dias. La campagne de presse a Ă©tĂ© dâune telle violence quâelle a en quelque sorte contraint la police Ă procĂ©der Ă une arrestation : impossible pour les flics de rester plus longtemps passifs en se contentant de dire quâils ne comprenaient pas ce qui sâĂ©tait passĂ©. Les flics ont donc arrĂȘtĂ© un type qui travaillait chez les Smart, Richard Ricci, leur homme de maison et il mâest rapidement apparu que la raison pour laquelle ce gars avait Ă©tĂ© placĂ© sous les verrous Ă©tait quâil nâavait pas dâargent pour se payer un avocat : il nây avait aucune preuve rĂ©elle contre lui.Â
« LORSQUE LâĂVĂNEMENT SâEST PRODUIT EN 2002, JâAVAIS ĂTĂ TRĂS FRAPPĂ PAR LâATTITUDE DE LA PRESSE QUI SâEST LITTĂRALEMENT DĂCHAĂNĂE AUTOUR DE LâAFFAIRE DURANT DES MOIS. »Â
Dix mois plus tard, la jeune fille a Ă©tĂ© retrouvĂ©e. La presse sâest Ă nouveau emballĂ©e et je me souviens avoir Ă©tĂ© trĂšs choquĂ© Ă nouveau du fait quâaucun journaliste ne parlait de cet homme qui avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© Ă tort et qui, entre-temps, Ă©tait mort en prison dans des circonstances extrĂȘmement suspectes. Jâai moi-mĂȘme cherchĂ© Ă enquĂȘter sur les circonstances exactes de sa disparition. Jâai appelĂ© le service de police de Salt Lake City et le bureau du coroner. Personne nâa voulu me parler. Je nâai jamais rĂ©ussi Ă obtenir le nom des prisonniers qui avaient cĂŽtoyĂ© Ricci dans les couloirs de la mort. Sa femme a refusĂ© de me rencontrer. Je sais quâelle a obtenu un dĂ©dommagement substantiel de la justice. Le corps de Richard Ricci a Ă©tĂ© incinĂ©rĂ©. La justice a vraiment pris soin dâentretenir le secret autour de sa mort.Â
« AUCUN JOURNALISTE NE PARLAIT DE CET HOMME QUI AVAIT ĂTĂ ARRĂTĂ Ă TORT ET QUI, ENTRE-TEMPS, ĂTAIT MORT EN PRISON DANS DES CIRCONSTANCES EXTRĂMEMENT SUSPECTES. »Â
Câest la premiĂšre fois quâun de vos romans est adaptĂ© au cinĂ©ma. Quelle a Ă©tĂ© votre rĂ©action en dĂ©couvrant le film de Gilles Bannier ?Â
CâĂ©tait une expĂ©rience Ă©tonnante. LâĂ©criture est un exercice solitaire : vous avez passĂ© des mois et des mois dans votre salon, seul avec vos pensĂ©es et votre rame de papier et, tout Ă coup, tout ce que vous avez imaginĂ© se trouve matĂ©rialisĂ© en images ; des dizaines de personnes se sont mis en quatre pour mettre votre propos en lumiĂšre et lâillustrer de maniĂšre sonore. Il y a quelque chose dâassez magique dans ce processus.Â
Avez-vous Ă©tĂ© surpris que ce soit un rĂ©alisateur français qui sâattelle Ă cette tĂąche ?Â
Non. Je viens rĂ©guliĂšrement en France promouvoir mes livres et constate depuis longtemps que les Français partagent les mĂȘmes prĂ©occupations que les AmĂ©ricains vis-Ă -vis du pouvoir et de la justice. JâĂ©tais simplement curieux de voir comment Gilles Bannier rĂ©ussirait Ă contourner certains obstacles juridiques, la lĂ©gislation nâĂ©tant pas la mĂȘme dans les deux pays.Â
En France, la peine de mort est abolie depuis trente-quatre ans et les couloirs de la mort dans lesquels sĂ©journe Jeff, votre hĂ©ros dans le livre, nâexistent pas.Â
La peine de mort reste un grave problĂšme aux Etats-Unis, mais ce nâest pas lâaspect le plus important du roman, qui sâattache avant tout Ă dĂ©noncer lâinjustice et le racisme social, toutes choses que vous connaissez parfaitement en France. Ces diffĂ©rences juridiques ne constituaient finalement que des problĂšmes assez mineurs : fondamentalement, le film nâest pas trĂšs diffĂ©rent du livre.Â
« LA PEINE DE MORT RESTE UN GRAVE PROBLĂME AUX ETATS-UNIS, MAIS CE NâEST PAS LâASPECT LE PLUS IMPORTANT DU ROMAN, QUI SâATTACHE AVANT TOUT Ă DĂNONCER LâINJUSTICE ET LE RACISME SOCIAL. »Â
Avez-vous discutĂ© avec Gilles Bannier de la direction quâil souhaitait donner au projet ?Â
Non. Cela nâaurait pas Ă©tĂ© bĂ©nĂ©fique et je ne crois pas que lui-mĂȘme lâaurait souhaitĂ© : le propre dâune bonne adaptation est de prendre certaines libertĂ©s vis-Ă -vis de lâĆuvre. Tout ce que jâavais Ă faire, câĂ©tait de le laisser tranquille et dâattendre quâil finisse son film. Gilles et moi ne nous sommes rencontrĂ©s quâune fois celuici terminĂ©.Â
Quels traits physiques prĂȘtiez-vous Ă votre hĂ©ros lorsque vous Ă©criviez ?Â
Il devait incarner Monsieur Tout-le-monde, un type absolument ordinaire, sans rien qui dĂ©passe.Â
Que pensez-vous du choix de Reda Kateb pour lâinterprĂ©ter ?Â
Je lâavais vu, et aimĂ©, dans ZERO DARK THIRTY , le film de Kathryn Bigelow - Ă lâĂ©poque, je pensais que câĂ©tait un acteur amĂ©ricain. Puis jâai dĂ©couvert UN PROPHĂTE de Jacques Audiard et jâai compris quâil Ă©tait français. Cela a Ă©tĂ© une heureuse surprise de le retrouver dans ARRĂTEZ-MOI LĂ. Reda Kateb traverse le film dâune façon trĂšs douce, mĂȘme si on ne retrouve pas forcĂ©ment cette douceur dans le livre. Samson, son personnage, est plus positif et plus aimable que ne lâest Jeff : il est moins acide, peut-ĂȘtre un peu moins sauvage - il a une petite amie - mais il a la mĂȘme humilitĂ© : câest quelquâun qui nâa pas vraiment rĂ©ussi sa vie, il laisse venir les Ă©vĂ©nements Ă lui, et Reda Kateb est parfait dans ce rĂŽle.Â
On est frappĂ© de voir Ă quel point lâinnocence de lâinculpĂ© compte finalement peu dans cette affaire.Â
Contrairement Ă ce que croient la plupart des gens, justice et moralitĂ© ne vont pas forcĂ©ment de pair. Cela ne se passe pas comme ça, il nâest mĂȘme pas Ă©crit dans la loi quâune personne doit ĂȘtre libĂ©rĂ©e si elle est innocente. La scĂšne Ă la fin du procĂšs est tout Ă fait exemplaire Ă ce titre : alors que la fillette est retrouvĂ©e et que lâinnocence de Samson est donc prouvĂ©e, Samson nâest pas libĂ©rĂ© pour autant. Cela nâa rien dâexceptionnel et câest un sujet que jâavais Ă cĆur dâexplorer Ă travers ce personnage.Â
Sa candeur finirait presque par en faire le coupable idĂ©al.Â
Il est naĂŻf, câest vrai, et croit vraiment que son innocence est suffisante, mais je dirais plutĂŽt quâaux Etats-Unis, et sans doute en France aussi, si vous nâavez pas dâargent et si vous vivez seul, que vous nâĂȘtes pas mariĂ©, vous devenez une cible parfaite aux yeux du systĂšme judiciaire. On peut vous accuser de nâimporte quoi. Ce nâest pas parce que vous nâavez pas commis un crime que vous ne courez pas le risque dâĂȘtre arrĂȘtĂ© un jour. La seule protection, câest dâĂȘtre riche et dâavoir des relations.Â
« LA SEULE PROTECTION, CâEST DâĂTRE RICHE ET DâAVOIR DES RELATIONS.»Â
Le hĂ©ros commet des erreurs : il commence par mentir, au moins par omission.Â
Personne nâest immĂ©diatement honnĂȘte lors dâun interrogatoire de police. Et puis, il y a cette histoire de course gratuite. Il risque de perdre sa licence, câest sĂ©rieux.Â
Chauffeur de taxi, est-ce un des nombreux mĂ©tiers que vous avez exercĂ©s parallĂšlement Ă votre activitĂ© dâĂ©crivain ?Â
Oui, en 1986, jâai conduit un taxi durant six semaines Ă Philadelphie. Ce nâĂ©tait pas trĂšs lucratif. La location du taxi me coĂ»tait 50 dollars par nuit. Comme je dĂ©butais, on mâavait confiĂ© les crĂ©neaux du lundi, du mardi et du mercredi, des nuits oĂč la clientĂšle Ă©tait rare, et jâavais beaucoup de difficultĂ©s Ă ramener davantage que les 50 dollars de ma mise. Câest tout juste si au bout dâune semaine de travail de 36 heures, je parvenais Ă gagner 8 dollars. Jâai jetĂ© lâĂ©ponge. Pour bien vivre dans ce mĂ©tier, il faut sâaccrocher.Â
Pour revenir au film, diriez-vous de votre Ă©criture quâelle est cinĂ©matographique ?Â
Je dirais quâelle lâest presque Ă mon insu. Je suis un enfant du cinĂ©ma autant quâun enfant de la littĂ©rature. Les idĂ©es me viennent de façon trĂšs visuelle, et jâai conscience de dĂ©couper les choses un peu comme le ferait un rĂ©alisateur. Jâai dĂ©jĂ un peu mĂąchĂ© le travail du cinĂ©aste !Â
Nâavez-vous jamais eu envie dâĂ©crire un scĂ©nario, voire de passer Ă la mise en scĂšne ?Â
Je ne suis pas certain dâĂȘtre la bonne personne pour cela : jâaime avoir le contrĂŽle total sur ce que je fais. Il faudrait vraiment que je sois en mesure de prendre toutes les dĂ©cisions sans que personne ne vienne mâapporter la contradiction. Je prĂ©fĂšre rester Ă©crivain.